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LES THÉORIES PÉNALES
DU CODE PÉNAL DE 1810 À NOS JOURS

«  Droit pénal général  » ( 2e éd. , Paris 1991 )
de W. JEANDIDIER

L’ÉVOLUTION DE LA POLITIQUE CRIMINELLE
( LES THÉORIES PÉNALES RÉCENTES )

§ I – De 1800 à 1870

45 — Le Code pénal napoléonien

La synthèse entre Révolution et Ancien Régime va d’abord se manifester sur le plan des institutions avec le nouveau Code pénal français de 1810 entré en vigueur le 1er janvier 1811. Nombre de conquêtes révolutionnaires sont conservées : séparation entre morale et droit pénal, légalité des délits et des peines, division tripartite des infractions. D’autres sont abandonnées : le Code ainsi n’adopte pas le système des peines fixes et instaure pour chaque infraction une peine maximale et une peine minimale, ce qui permet déjà une réelle individualisation par le juge. Les circonstances atténuantes sont prévues, mais elles sont alors très limitées, puisqu’elles ne jouent que pour les infractions correctionnelles ayant causé un préjudice inférieur à 25 F. ; quelques excuses atténuantes sont encore instituées.

Mais le trait saillant du Code pénal de 1810 est sa sévérité. De nombreuses circonstances aggravantes existent, qui obligent le juge à dépasser le maximum légal normal. Les peines sont rigoureuses : peine de mort (dans 36 cas), peines perpétuelles, et divers supplices sont rétablis — marque au fer rouge, carcan, ou encore amputation du poing droit pour les parricides —. Cette sévérité s’inspire de la doctrine utilitariste de Bentham : si les rédacteurs du Code pénal ont fait oeuvre intimidante, c’est parce qu’ils sont convaincus que « le crime doit se faire craindre davantage par la répression à laquelle il expose, que désirer par les satisfactions qu’il procure ». Enfin le Code pénal a une conception classique des plus abstraites du criminel : celui-ci est un homme libre qui a volontairement choisi de faire le mal et qui est apte à subir le juste châtiment que lui réserve la société. C’est le fameux postulat du libre arbitre, qui ne cède que devant la folie.

L’habileté de cet équilibre entre ancien et nouveau droits explique sans doute la longévité du Code pénal de 1810 et son influence en Europe dans la première moitié du XIXe siècle. Pourtant l’ouvrage n’est pas sans présenter des faiblesses notables. Son plan d’abord n’est pas satisfaisant, la sanction étant envisagée avant l’infraction. Ensuite le Code contient peu de développements relatifs à des théories générales fondamentales ; aucune construction juridique sur l’erreur ou la faute ou l’état de nécessité, des articles insuffisants sur la démence ou la force majeure (prévues pour les seuls crimes et délits) ou imparfaits sur la légitime défense (envisagée pour les seuls homicides et coups ou blessures). Enfin des règles relatives au fond du droit, tel le non-cumul des peines, ne figurent pas dans le Code pénal mais dans le Code d’instruction criminelle, phénomène qui n’a cessé depuis de s’amplifier.

46 — L’école de la justice absolue

Sur le plan des idées deux écoles importantes se sont développées. La première, dite de la justice absolue, a eu deux représentants essentiels : Kant (1724-1804) et Joseph de Maistre (1753-1821). C’est bien avant la rédaction du Code pénal que le philosophe allemand Kant a élaboré sa doctrine dans une étude intitulée Critique de la raison pratique (1788) puis dans un autre livre, Éléments métaphysiques de la doctrine du droit (1796). Ses idées ne sont diffusées en France qu’après 1810 grâce notamment au publiciste français de Maistre qui reprend la pensée de Kant en la modifiant légèrement pour en faire une doctrine personnelle dans un ouvrage publié en 1821, Les soirées de Saint-Pétersbourg.

Pour ces deux auteurs le droit de punir repose sur les exigences de la justice : lorsqu’une infraction est perpétrée, la justice a été bafouée et la peine qui sanctionne l’auteur de l’infraction doit assurer l’expiation du crime. Néanmoins les analyses des deux penseurs diffèrent quant à la notion de justice. Pour Kant la justice se confond avec l’ordre moral qu’il convient de faire respecter et c’est au pouvoir qu’il incombe de faire respecter cet ordre moral. Pour de Maistre le pouvoir social est le représentant temporel de la Providence, l’infraction est un péché et la peine sa pénitence.

En tout état de cause la répression doit être assurée indépendamment du problème de savoir si elle est utile ou non a la société ; et Kant affirme que la répression doit être assurée intégralement, quand bien même son inutilité est certaine. L’apologue de l’île abandonnée illustre cette exigence de la morale, cet « impératif catégorique ». L’auteur imagine qu’une société est contrainte de quitter une île ; or, au sein du groupe social, existe un criminel condamné à mort. La dernière tâche de cette société est pour Kant d’exécuter ce condamné, exécution dépourvue pourtant d’utilité sociale, puisque la société se dissout.

47 — L’école néo-classique

L’École néo-classique, encore appelée éclectique — car elle se situe a mi-chemin entre Becarria et les tenants de la Justice absolue — a pour principaux représentants le ministre de Louis-Philippe Guizot (1787-1874) auteur d’un Traité de la peine de mort en matière politique (1822), l’universitaire d’origine italienne Rossi (1787-1848) auteur d’un Traité de droit pénal (1829) et l’universitaire Ortolan (1802-1873) qui a écrit de nombreux ouvrages de droit.

La doctrine néo-classique résume la synthèse entre les idées de la Révolution et celles de l’Ancien Droit dans cette formule célèbre : « Punir ni plus qu’il n’est juste, ni plus qu’il n’est utile ». C’est une combinaison de l’utilité sociale et de la justice morale. Pour parvenir à une peine juste, les néo-classiques insistent sur la nécessité de son individualisation et c’est en cela qu’ils se différencient essentiellement de l’école classique. Sans doute tous les hommes sont-ils libres, mais tous ceux qui commettent le même délit ne sont pas identiques : leur passé, les circonstances de commission de l’infraction, leur personnalité, leur sexe sont autant d’éléments qui différencient les individus. Autrement dit la responsabilité doit s’apprécier in concreto, ce qui suppose un pouvoir d’adaptation de la peine reconnu au juge.

Outre son individualisation le peine ne doit pas être trop lourde pour être juste. Mais ce n’est pas tout : la peine doit aussi être utile, c’est-à-dire rétributive et amendante et par là les néo-classiques renouent avec la pensée des juristes canonistes. Il importe à ce sujet de signaler que cette double fonction de la peine a été spécialement développée par l’École pénitentiaire qui voit dans la prison une sorte de panacée et qui est à l’origine d’une science nouvelle, la science pénitentiaire. Cette école a été dominée par Charles Lucas (1803-1889), inspecteur général des prisons et fondateur de la Société générale des prisons, auteur d’une Réforme des prisons (1836-1838) et le magistrat Bonneville de Marsangy (1802-1894).

Pour revenir à l’École néo-classique, ses membres ont également voulu limiter le pouvoir de créer des incriminations reconnu à l’État, comme le montre le fameux adage précité ; chaque incrimination doit être juste et utile. Dans son Traité de droit pénal Rossi illustre cette exigence en raisonnant sur le meurtre, l’usure et le duel. Le meurtre doit être incriminé car sa répression est utile à la société et moralement juste pour son auteur. En revanche la répression de l’usure, quoique utile, n’est pas juste car ce comportement n’est pas suffisamment immoral pour être puni. Quant au duel, s’il paraît juste de le sanctionner, il est pourtant inutile de le faire, parce que cet acte n’est socialement guère dangereux.

48 — Influence du néo-classicisme

Le néo-classicisme a exercé une profonde influence sur le droit positif. Alors que le Code pénal de 1810 a envisagé le délinquant comme un être purement abstrait, s’est avant tout préoccupé de l’infraction punie avec une grande sévérité, le mouvement législatif postérieur, cherchant un adoucissement de la répression, traduit un souci d’individualisation de la sanction.

La Charte de 1814 supprime la confiscation générale, la loi du 28 avril 1832 supprime les peines corporelles comme la marque, le carcan et la mutilation du poing, correctionnalise divers crimes, institue la double échelle des peines politiques et de droit commun. Surtout ce texte généralise l’application des circonstances atténuantes à toutes catégories d’infractions, réagissant de la sorte contre de nombreux acquittements abusifs émanant des jurys qui ne disposaient jusqu’alors d’aucun pouvoir de mitigation de peines trop sévères.

Par la suite la Constitution du 4 novembre 1848 abolit la peine de mort en matière politique et la loi du 13 mai 1863 réalise un nouvel adoucissement de la répression en certains domaines. Sur le plan de l’exécution des peines apparaissent aussi quelques changements : construction de prisons cellulaires, développement du travail pénal, établissement d’un régime colonial d’exécution de la peine des travaux forcés afin « d’améliorer l’homme par la terre et la terre par l’homme », par la loi du 30 mai 1864.

§ II – De 1870 à nos jours

49 — Un phénomène d’intensification

Débutant vers 1870, cette période s’étend jusqu’à nos jours ; elle se caractérise par un extrême bouillonnement des idées et du droit positif.

50 — L'école positiviste

La première de ces doctrines est le positivisme pénal illustré principalement par trois Italiens. Lombroso (1836-1909), professeur de médecine légale à Turin, publie en 1876 l’Homme criminel. Ferri (1856-1928), professeur de droit et avocat à Rome, est l’auteur d'un ouvrage intitulé La sociologie criminelle (1892) et Garofalo (1852-1934), magistrat, a écrit une Criminologie (1885). Tous trois sont des disciples d'Auguste Comte, célèbre philosophe français, chef de file du positivisme et fondateur d'une science nouvelle, la sociologie. Les positivistes italiens dénoncent l’inefficacité de la politique criminelle de l’École néo-classique, puisque par exemple la criminalité a triplé en France entre 1826 et 1880. Ils critiquent également la conception abstraite qu’a cette école du criminel, le postulat du libre arbitre et la proportionnalité des peines. L'apport du positivisme pénal se traduit d’abord par une compréhension nouvelle du phénomène criminel et ensuite par l'élaboration de divers moyens de lutte.

Les positivistes expliquent la criminalité et ses mécanismes par deux concepts. Le premier est le déterminisme :le crime, pour eux, est le résultat inexorable de causes exogènes ou endogènes. Pour Lombroso le crime a une explication anthropologique, étant la résurgence des instincts primitifs de l'homme. Pour Ferri l’explication est sociologique, le crime étant causé essentiellement par le milieu et cet auteur a d’ailleurs formulé à ce sujet sa célèbre loi de la saturation criminelle. Le second concept fondamental est l’irresponsabilité morale du délinquant. En effet, raisonner en termes de responsabilité morale, de culpabilité, de libre arbitre est insensé aux yeux des positivistes puisque l'homme est déterminé dans ses gestes et ses pensées par sa morphologie ou son milieu.

L'État intervient cependant contre le crime, mais son intervention repose sur la notion d’état dangereux (en italien temebilita) du délinquant. Selon Lombroso le délinquant est un « microbe social » qui menace la santé de la collectivité. Ce concept d’état dangereux a connu depuis les positivistes un vif succès et a fait progresser la science criminelle. Mais quels critères révèlent cet état dangereux ? Ferri à cet égard divise les criminels en cinq classes principales. Les trois premiers groupes, les plus dangereux, sont composés de délinquants à éliminer : il s'agit des criminels-nés (qui portent les stigmates anatomiques, physiologiques et psychologiques qui permettent de les reconnaître), des criminels aliénés (comprenant les déments stricto sensu et les fous moraux privés de tout sens moral) et des criminels d’habitude (récidivistes incorrigibles contre lesquels il n'y a plus rien à faire). Les deux derniers groupes comprennent des délinquants moins dangereux qui méritent l’indulgence et doivent être traités : ce sont les criminels occasionnels et les criminels passionnels. Cette classification n’a d’ailleurs pour son auteur qu'une valeur relative et celui-ci admet parfaitement qu’un criminel-né ait pu par exemple obéir de façon accidentelle à des motifs légitimes, le juge devant ainsi rechercher les « motifs déterminants » de chaque action criminelle.

Les positivistes ont ensuite élaboré une politique criminelle privilégiant la défense de la société ; pour ce faire il faut un système propre à éradiquer le danger criminel en utilisant deux moyens de lutte. Le premier consiste en des « « mesures préventives de prophylaxie sociale » qualifiées de « substituts pénaux » par Ferri. C’est l’intervention avant toute infraction, à l’égard d’individus par hypothèse non déterminés. L’exemple célèbre donné par Ferri est celui d’une rue obscure où se commettent de nombreuses infractions ; le meilleur moyen d’y mettre fin est d’installer dans cette rue un éclairage violent, alors que classiques et néo-classiques auraient recours à des rondes de police, arrêtant sans doute — mais pas toujours — les malfaiteurs mais ne supprimant pas les infractions. Pareillement Ferri préconise la démolition des taudis, la réglementation de la vente de l’alcool, la construction d’écoles, la recherche scientifique. Mais aucun positiviste n’a souhaité une autre forme d’intervention a priori, dite intervention ante delictum, qui consiste à agir à l’encontre d’individus déterminés qui, sans avoir commis actuellement d’actes délictueux, se trouvent dans une situation pré-criminelle ou présentent un penchant criminel décelable.

Outre cette politique préventive les positivistes ont imaginé d’appliquer aux criminels plusieurs types de mesures individuelles, dénommées mesures de sûreté ou mesures de défense. Ces mesures s’opposent aux peines par leur absence de but afflictif, par leur durée indéterminée et par leurs modalités d’application (mesures curatives, éducatives, éliminatrices). Par exemple Garofalo préconise pour les meurtriers par cupidité la peine de mort ou un asile d’aliénés criminels, pour les meurtriers par vengeance de l’honneur la relégation dans une île, pour les meurtriers par légitime défense l’éloignement de l’endroit où vit la victime et pour les voleurs occasionnels l’interdiction d’exercice d’une profession jusqu’à complète réparation du préjudice.

Pour conclure sur la doctrine positiviste, on signalera qu’elle a été l’objet de sévères critiques. Ainsi elle choque l’esprit dans la mesure où elle fait du délinquant une sorte de mécanique déterminée : l’homme finit par y perdre sa dignité et son âme. On a encore reproché au positivisme les conséquences qu’il a tirées de la notion d’état dangereux, en particulier les mesures indéterminées dans la durée à l’encontre des délinquants. En outre il est difficile, semble-t-il, de faire totalement abstraction de la moindre notion morale. Il n’en demeure pas moins vrai que le positivisme a permis aux sciences criminelles de réaliser d’énormes progrès. L’utilité des mesures préventives n’a pas besoin d’être démontrée ; l’essor des mesures de sûreté prouve ensuite leur nécessité. Quant aux travaux des positivistes sur les causes du crime, ils sont à l’origine de la science nouvelle qu’est la criminologie. Enfin les doctrines postérieures, à des degrés divers, sont tributaires du positivisme pénal.

51 — Les écoles de la défense sociale

Le courant dit de la défense sociale connaît plusieurs expressions. La plus ancienne et la plus proche du positivisme a été exposée par le Belge Prins (Science pénale et droit positif, 1899 ; La défense sociale et les transformations du droit pénal, 1910) qui certes rejette le postulat déterministe mais, ne voulant considérer que l’état dangereux, se montre partisan de sanctions à durée indéterminée.

Avec l’Italien Gramatica la défense sociale prend une tout autre coloration. Avocat à Gênes, cet auteur a fait la synthèse de ses idées — exprimées dès 1934 — dans ses Principes de défense sociale. Gramatica répudie l’ensemble du droit criminel et en particulier les concepts d’infraction et de délinquant. L’infraction doit être rejetée parce qu’elle se fonde sur l’appréciation objective d’un dommage ; or seul importe le sujet. Seulement celui-ci ne saurait être considéré comme un délinquant, mais comme un homme qu’il incombe de resocialiser car il a sombré dans l’antisocialité. Cette notion fort complexe est seule à pouvoir servir de critère à l’intervention étatique. Il faut appliquer à l’homme reconnu antisocial des mesures de défense sociale visant à l’amélioration du sujet et pouvant intervenir avant comme après l’infraction. Ces mesures, qui doivent constituer l’unique type de réaction de l’État — ce qui implique la disparition des peines — s’exécuteront « partout, sauf en prison ». Enfin Gramatica propose de développer une action politique tournée vers une hygiène sociale absolue. Toutes ces idées ont suscité de sérieuses réserves chez nombre de criminalistes. Le concept d’antisocialité est des plus flous alors que celui d’infraction, expression du principe de la légalité, édifie une solide barrière contre l’arbitraire. Aussi n’est-il pas surprenant que les adeptes français du système de défense sociale aient construit une doctrine fort différente.

L’École de la défense sociale nouvelle a pour manifeste le célèbre ouvrage de Marc Ancel (1902-1990) — président de chambre honoraire à la Cour de cassation — La défense sociale nouvelle publié en 1954 et réédité à deux reprises. La caractéristique fondamentale de cette doctrine est sa personnalisation très poussée. Moins que la défense de la société, c’est la défense de l’individu qui est envisagée en vue de sa resocialisation. Aussi bien — et il y a ici un point commun avec les prédécesseurs — doit être rejeté tout préjugé métaphysique à la base de la justice pénale : ni déterminisme, ni libre arbitre. La justice pénale est une justice humaine dont l’action implique la mise en oeuvre de toutes les ressources que lui offrent les sciences de l’homme.

La défense sociale nouvelle ne rejette pas l’idée de responsabilité morale. Il est nécessaire d’étudier la personnalité de chaque délinquant afin de pouvoir le traiter et à ce sujet peuvent être utilisées les peines comme les mesures de sûreté, d’ailleurs fondues dans un système unique de sanctions. Et ce traitement permettra de faire acquérir ou retrouver les valeurs morales perdues. Le libre arbitre est ainsi le but du traitement et non son point de départ : ce n’est que lorsqu’il sera guéri que le condamné jouira de sa pleine liberté et de son entière responsabilité. La défense sociale nouvelle s’intéresse donc au premier chef à l’homme concret et elle rejette toute considération de vengeance, d’expiation, voire de rétribution.

Pour mieux connaître cet homme il faut pratiquer l’observation du délinquant avec des examens médicaux, sociaux, psychiatriques destinés à constituer un dossier de personnalité seul capable de permettre la mise en oeuvre d’un véritable traitement de resocialisation. Cette exigence conduit à la division du procès pénal en deux phases. La première est le classique procès répressif, relatif à la matérialité des faits et qui prend fin avec une décision sur la culpabilité. La seconde est axée sur l’examen de la personnalité : c’est le procès de défense sociale, les magistrats étant entourés de médecins, psychologues et psychiatres pour la décision sur la sanction. Cette seconde phase connaîtrait des règles de déroulement originales : publicité restreinte, possibilité d’exclure le délinquant du débat, collaboration étroite entre ministère public et défense. Quant à la sentence, elle doit être constamment modifiable pour tenir compte de la personnalité du sujet.

Quoique séduisantes, les thèses de la défense sociale nouvelle ont des détracteurs. Il est excessif, semble-t-il, de minorer par trop l’idée de rétribution de la condamnation pénale. Il semble paradoxal de ne pas supprimer les notions de faute et de responsabilité morale et de refuser de porter un jugement de valeur sur la conduite du délinquant. Il paraît illogique de conserver une fonction rétributive traditionnelle en certains domaines limités comme les infractions d’imprudence et les délits artificiels et de préférer pour les infractions intentionnelles une réaction à dominante préventive. De surcroît la volonté de « déjudiciarisation » du droit pénal chère à Ancel présente des risques : sans doute l’auteur veut-il seulement éliminer fictions et présomptions du droit classique, par trop artificielles, mais le glissement est aisé vers des conclusions plus radicales.

52 — Aujourd’hui : la tour de Babel des doctrines

Depuis la défense sociale — qui a fait nombre d’émules — les doctrines soutenues de part et d’autre peuvent être classées en trois groupes.

Le premier représente des idées contestataires qui procèdent de la criminologie radicale et interactionniste. Répression égale pour ces auteurs oppression et toute réforme pénitentiaire est par exemple analysée comme un procédé hypocrite destiné à perpétuer la mainmise sur l’individu désarmé. L’Italien Versele (Aspects juridiques de la perception de la déviance de la criminalité, rapport à la 9e conférence des directeurs de recherches criminologiques, Conseil de l’Europe, 1972) et le Néerlandais Hulsman figurent parmi les principaux représentants de ce courant contestataire. Ce dernier auteur a même vu dans le crime une « situation problème » dont la solution doit être recherchée en dehors des voies pénales : modification de l’environnement, renouvellement des mentalités et en cas d’échec, procédures de conciliation-règlement des conflits sur le mode civil (Peines perdues. Le système pénal en question, par Hulsman et Bernat de Célis, 1982).

Une autre tendance, qualifiée de néo-pragmatisme (v. ainsi Gassin, Confrontation du système français de la sanction pénale avec les données de la criminologie et des sciences de l’homme, in Travaux du Colloque de science criminelle de Toulouse, 1969, 117 s.), reprend la doctrine de l’École pragmatique représentée au début du siècle par l’Espagnol Saldana et suggère que cessent les querelles doctrinales et que l’on s’attache exclusivement aux données de l’expérience.

Mais l’école la plus importante en France est présentement le néo-classicisme contemporain qualifié parfois de néo-classicisme nouveau. Ce mouvement, annoncé il y a déjà longtemps par Saleilles (De l’individualisation de la peine, 1898), a pour principaux représentants Georges Levasseur et Roger Merle (La confrontation doctrinale du droit pénal classique et de la défense sociale, R.S.C. 1964, 725) et à l’étranger l’École d’Utrecht. S’opposant à la défense sociale nouvelle ces divers auteurs insistent sur les idées de blâme, de responsabilité morale et de rétribution. Mais ils souhaitent aussi conserver certains aspects de la défense sociale et ils estiment primordiale une connaissance approfondie de la personnalité des criminels. En outre les néo-classiques contemporains refusent tout lien entre le quantum de la peine et la responsabilité morale, puisque cette règle capitale pour leurs devanciers revient à reléguer au second plan la prise en considération de la personnalité de l’intéressé.

Depuis la recrudescence de la délinquance une tendance plus dure s’est manifestée au sein du néo-classicisme contemporain avec des auteurs comme Jean-Claude Soyer (Justice en perdition, 1982), Michèle-Laure Rassat (Pour une politique anticriminelle de bon sens, 1983) et l’ancien Garde des Sceaux Alain Peyrefitte (Les chevaux du lac Ladoga, 1981). Cette branche renoue avec l’ancienne idée d’expiation. La réinsertion, du moins pour les délinquants professionnels, doit céder le pas devant le châtiment : la prison a pour fonction de neutraliser les individus dangereux pour le corps social et aussi de les intimider.

Signe de fin