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DÉCLARATION DU ROI LOUIS XVI
FAITE À VERSAILLES LE 1er MAI 1788

 

Les grands objets d’administration dont nous sommes occupé ne nous font pas perdre de vue les autres genres de bien que peut opérer notre amour pour nos peuples. La législation de notre royaume sollicite particulièrement notre vigilance. Nos lois criminelles surtout, cette portion si importante de l’ordre public, méritent d’autant plus de fixer notre attention, qu’elles intéressent à la fois notre humanité et notre justice. Lorsque Louis XIV, de glorieuse mémoire, voulut donner à ses tribunaux le code qui régie encore aujourd’hui leurs jugements en matière criminelle , il fit précéder cet acte mémorable de sa sagesse par des conférences solennelles, et après s’être éclairé par les conseils des magistrats les plus recommandables de la nation, il publia son ordonnance de 1670.

Malgré des précautions si dignes de concilier à cette loi le suffrage universel, nous ne saurions nous dissimuler qu’en conservant le plus grand nombre de ses dispositions, nous pouvons en changer avantageusement plusieurs articles principaux, et la réformer sans l’abolir. Nous avons donc considéré que ces commissaires eux-mêmes n’ont pu tout prévoir en débrouillant le chaos de la jurisprudence criminelle , que les procès-verbaux de leurs conférences attestent qu’ils furent souvent divisés sur des points importants, et que la décision ne parut pas confirmer toujours les avis les plus sages ; que depuis la rédaction de cette ordonnance, le seul progrès des lumières suffirait pour nous inviter à en revoir attentivement les dispositions, et à les rapprocher de cette raison publique, au niveau de laquelle nous voulons mettre nos lois ; enfin, que le temps lui-même a pu introduire ou dévoiler dans l’exécution de l’ordonnance criminelle des abus essentiels à réformer ; et à l’exemple des législateurs de l’antiquité, dont la sagesse bornait l’autorité de leur code à un période de cent années, afin qu’après cette épreuve la nation pût juger les lois, nous avons observé que ce terme étant maintenant expiré, nous devions soumettre à une révision générale cette même ordonnance criminelle qui a subi le jugement d’un siècle révolu.

Pour procéder à ce grand ouvrage avec l’ordre et la sagesse qu’il exige, nous nous proposons de nous environner de toutes les lumières que nous pourrons réunir autour du trône où la divine Providence nous a placé. Tous nos sujets auront la faculté de concourir à l’exécution du projet qui nous occupe, en adressant à notre Garde des sceaux les observations et mémoires qu’ils jugeront propres à nous éclairer. Nous élèverons ainsi au rang des lois les résultats de l’opinion publique, après qu’ils auront été soumis à l’épreuve d’un mûr et profond examen, et nous chercherons tous les moyens d’adoucir la sévérité des peines sans compromettre le bon ordre et la sûreté générale.

L’esprit systématique n’excitera jamais que notre défiance. Nous voulons éviter tout excès dans la réforme de nos lois criminelles, celui même de la clémence , auquel il serait si doux de se livrer, s’il n’enhardissait au crime par l’espoir de l’impunité. Notre objet invariable, dans la révision de nos lois criminelles, est de prévenir les délits par la certitude et l’exemple des supplices ; de rassurer l’innocence en la protégeant par les formes les plus propres à la manifester ; de rendre les châtiments inévitables, en écartant de la peine un excès de rigueur qui porterait à tolérer le crime plutôt qu’à le dénoncer à nos tribunaux, et de punir les malfaiteurs avec toute la modération que l’humanité réclame, et que l’intérêt de la société peut permettre à la loi.

Mais en attendant que notre sagesse ait opéré une si utile révolution, dont nous espérons que nos sujets éprouveront incessamment les heureux effets, nous voulons, en annonçant nos intentions à nos peuples, abroger dès à présent plusieurs abus auxquels il nous a paru instant de remédier.

Le principal abus qui rendrait en ce genre tous les autres irrémédiables jusqu’à la parfaite réforme de nos lois criminelles, a pour principe la disposition de l’article 21 du titre XXV de l’ordonnance de 1670, qui, en ordonnant que les jugements seront exécutés le même jour qu’ils auront été prononcés aux condamnés, laisse aux juges la faculté de les mettre à exécution aussitôt qu’ils sont rendus. Cette promptitude peut être utile dans des cas particuliers où il importe de rétablir le bon ordre par la terreur d’un exemple qui ne souffre point de délai ; et nous l’avons autorisée dans ces circonstances. Mais dans la punition des autres délits, une pareille forme rend illusoire l’espoir de recourir à notre clémence ou d’éclairer notre justice. Notre humanité n’est point effrayée de mettre un intervalle entre la signification des arrêts de mort et leur exécution. Nous avons reconnu que les condamnés étaient presque toujours instruits d’avance de leurs jugements dans les prisons, et que cette notification était d’autant plus nécessaire, qu’elle ne serait encore qu’insuffisamment suppléée par le conseil que nous nous proposons de leur donner pour les diriger dans leurs défenses.

Un autre abus que nous pouvons supprimer dès à présent, c’est l’interrogatoire sur la sellette. Cette formalité flétrissante n’entra jamais dans la classe des peines imposées par nos lois, elle blesse d’ailleurs ouvertement le premier de tous les principes en matière criminelle, qui veut qu’un accusé, fût-il condamné à mort en première instance, soit toujours réputé innocent aux yeux de la loi jusqu’à ce que sa sentence soit confirmée en dernier ressort. Il n’est donc pas juste que le supplice de l’ignominie précède cet arrêt définitif, qui peut seul constater, irrévocablement son crime, et l’expose à perdre la tranquillité d’esprit dont il a besoin pour se défendre devant ses juges. Attentif à nous défendre de toute précipitation dans l’amour même du bien, nous avions déjà porté nos regards sur ce, genre de peines que la loi avait autorisé dans l’enceinte des tribunaux. Nous avions pensé que la question, toujours injuste pour compléter la preuve des délits, pouvait être nécessaire pour obtenir la révélation des complices ; et en conséquence par notre déclaration du 24 août 1780, nous avions proscrit la question préparatoire sans abolir encore la question préalable.

De nouvelles réflexions nous ont convaincu de l’illusion et des inconvénients de ce genre d’épreuve, qui ne conduit jamais sûrement à la connaissance de la vérité, prolonge ordinairement sans fruit le supplice des condamnés, et peut plus souvent égarer nos juges que les éclairer. Cette épreuve devient presque toujours équivoque par les aveux absurdes, les contradictions et les rétractations des criminels. Elle est embarrassante pour les juges, qui ne peuvent plus démêler la vérité au milieu des cris de la douleur. Enfin elle est dangereuse pour l’innocence, en ce que la torture pousse les patients à des déclarations fausses, qu’ils n’osent plus rétracter, de peur de voir renouveler leurs tourments. Ces considérations nous ont déterminé à tenter un moyen plus doux, sans être moins sûr, pour forcer les malfaiteurs de nommer leurs complices. Nous avons pensé que la loi ayant confié à la religion du serment les plus grands intérêts de la société, puisqu’elle en fait dépendre la vie des hommes, elle pouvait l’adopter aussi pour garant de la sûreté publique dans les dernières déclarations des coupables. Nous nous sommes donc décidé à essayer, du moins provisoirement, de ce moyen, nous réservant, quoique à regret, de rétablir la question préalable, si, après quelques années d’expérience, les rapports de nos juges nous apprenaient qu’elle fût d’une indispensable nécessité.

La sage institution de faire imprimer et afficher les arrêts en matière criminelle nous a paru d’autant plus précieuse au maintien de l’ordre public, qu’elle multiplie en quelque sorte l’exemple des supplices, qu’elle contribue à prévenir les crimes par la crainte des châtiments, qu’elle reproduit sans cesse sons les yeux des peuples l’action des lois qui les protègent, et qu’elle sert à exciter la vigilance des juges par la seule publicité de leurs jugements. Mais plusieurs de nos cours ont restreint l’influence d’un usage si salutaire, en adoptant dans leurs arrêts une formule vague, qui, sans articuler expressément le crime, ne motive les jugements portant peine de mort que sur les seuls « cas résultant du procès ». D’où il suit que nos peuples peuvent quelquefois ignorer les causes de ces condamnations solennelles, qui, en mettant la peine à la suite du délit, doivent toujours montrer le délit à côté de la peine. Cette formule, si évidemment contraire à l’objet et à esprit des lois pénales, nous exposant d’ailleurs nous-même tous les jours à demander des éclaircissements sur les arrêts qui nous sont déférés, nous avons cru devoir enjoindre à nos cours, soit qu’elles prononcent en première ou en dernière instance, d’indiquer à l’avenir, en termes exprès et formels, dans leurs jugements, les crimes pour lesquels elles infligeront des peines afflictives ou infamantes.

Enfin nous avons considéré que les précautions qu’exige la sûreté publique obligeaient quelquefois nos tribunaux de suivre, dans la recherche des crimes, des indices trompeurs, et les exposaient à confondre d’abord les innocents avec les coupables. Cependant après que, sur de fausses apparences, nos sujets ainsi traduits en justice ont subi toutes les rigueurs d’une- poursuite criminelle, s’il n’y a -point de partie civile au procès, sur laquelle tombent les dépens, nos cours les déchargent il est vrai de toute accusation et les renvoient absous, mais elles ne font point imprimer et afficher, au nom de la loi, ces arrêts d’absolution qui doivent les réintégrer dans l’opinion publique. Nous désirons et nous espérons de pouvoir leur procurer dans la suite les dédommagements auxquels ils ont alors droit de prétendre, et nous nous réduisons avec peine aujourd’hui à n’accorder pour indemnité à leur innocence que la certitude d’être solennellement reconnue et manifestée ; mais du moins , en attendant que nous puissions compenser pleinement les dommages qu’elle aura soufferts, nous voulons lui assurer dès ce moment, dans toute son intégrité, cette réparation qui laisse encore à notre justice de si légitimes regrets. L’honneur de tous nos sujets étant sous notre protection spéciale, comme la plus précieuse de leurs propriétés, c’est à nous à fournir aux frais de l’impression et de l’affiche de ces jugements d’absolution, et nous ne balançons pas d’en imposer la charge à notre domaine, comme une portion essentielle de la justice que nous devons à nos peuples…

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1° - Abolissons l’usage de la sellette ; seront les accusés, ainsi que les impétrants de nos lettres d’abolition, rémission et autres en matière criminelle, interrogés lors du jugement, derrière le barreau, encore qu’il y ait contre eux des condamnations ou conclusions à des peines afflictives ou infamantes ; ordonnons à cet effet qu’il sera placé dans nos cours et juridictions, derrière le barreau, un siège ou banc de bois ; assez élevé pour que les accusés puissent être vus de tous leurs-juges ; laissons au choit desdits accusés de rester debout où assis, ce dont les présidents de nos cours et les juges qui présideront au jugement dans les juridictions seront tenus de les. avertir.

2°- Défendons de dépouiller les accusés des vêtements distinctifs de leur état , même des marques extérieures de leurs dignités, s’ils en sont revêtus ; pourront néanmoins être obligés de quitter leurs armes.

3°- Ne pourront nos juges, même nos cours, prononcer en matière criminelle, « pour les cas résultants du procès » ; voulons que tout arrêt ou jugement énonce et qualifie expressément les crimes et délits dont l’accusé aura été convaincu, et pour lesquels il sera condamné ; exceptons les arrêts purement confirmatifs de sentence des premiers juges, dans lesquels lesdits crimes et délits seraient expressément énoncés ; à la charge par nos cours de faire transcrire, dans le vu de leurs arrêts, lesdites sentences des premiers juges ; le tout à peine de nullité.

4°- La disposition de nos ordonnances par laquelle il suffit, pour que les arrêts en matière criminelle passent à l’avis le plus sévère, que cet avis prévaille de deux voix, n’aura lieu qu’à l’égard de toutes autres peines qu’à celles de mort ; voulons qu’aucune condamnation à la peine de mort ne puisse être prononcée en dernier ressort, si l’avis ne prévaut de trois voix.

5°- Aucun jugement portant peine de mort naturelle, ne pourra être exécuté qu’un mois après qu’il aura été prononcé ,au condamné : ordonnons à nos procureurs généraux, ainsi qu’à nos procureurs ès grands bailliages, d’instruire notre Chancelier ou Garde des sceaux, par le premier courrier qui suivra la date desdits jugements, de la nature des délits sur lesquels ils seront intervenus, de la date du jour où ils auront été rendus, et de celle du procès-verbal de leur prononciation au condamné ; leur défendons de faire en aucun cas :procéder à l’exécution avant l’expiration dudit délai, si ce n’est qu’il en soit par nous autrement ordonné.

6°- Exceptons de la disposition de l’article précédent les jugements rendus pour des cas de sédition ou émotion populaire ; seront lesdits jugements exécutés le, jour qu’ils auront été prononcés aux condamnés.

7°- Nos cour juges ordonneront que tout, arrêt ou jugement d’absolution, rendu en dernier ressort, ou dont il n’y aura appel, sera imprimé et affiché aux frais de la partie civile, s’il y en a, sinon aux frais de notre domaine ; les autorisons à décerner, pour lesdits frais, exécutoire sur notre domaine, en la forme ordinaire, jusqu’à concurrence de deux cents-exemplaires en notre cour de parlement et cour des aides de Paris, cent cinquante exemplaires en nos autres cours supérieures, et cent exemplaires en nos grands bailliages ; sauf aux accusés renvoyés absous, d’en faire imprimer et afficher un plus grand nombre à leurs frais.

8°- Notre déclaration du 24 août 1780 sera exécutée, et y ajoutant, abrogeons la question préalable.

9°- Voulons néanmoins que le jour de l’exécution, il soit procédé par le juge-commissaire, en la forme prescrite par nos ordonnances, à l’interrogatoire des condamnés à mort ; et seront lesdits condamnés, interrogés, encore qu’ils aient constamment dénié dans le cours de l’instruction, et qu’il paroisse, par la nature du crime et par la qualité des preuves, qu’il n’y a lieu à révélation d’aucuns complices.

10°- Voulons aussi qu’encore que lesdits condamnés aient persisté à dénier dans leur dit interrogatoire, ils soient récolés sur icelui, et qu’il ne soit -procédé-au récolement qu’au moment de l’exécution ; à l’effet de quoi sera tout condamné préalablement conduit à la salle destinée au juge ou au commissaire.

11°- Dans le cas où le condamné aurait chargé des complices, il sera procédé à la confrontation en la forme ordinaire, de la seule ordonnance du commissaire.

12°- Laissons néanmoins à la prudence dudit commissaire d’ordonner qu’il sera procédé sur le champ au récolement, dans les cas où il y aurait nécessité urgente constatée par le rapport de médecins ou gens à ce connaissant, lequel rapport sera joint au procès ; et sera tout ce qui est prescrit par le présent article et par les deux articles précédents, observé, à peine de nullité de l’interrogatoire et récolement, qui ne pourront faire charge et ne serviront que de simple mémoire. Si donnons en mandement

Signe de fin