Accueil > Table des rubriques >  La science criminelle > Historiens-Sociologues-Criminologues >  Historiens > Edmond Séligman, La conception du droit criminel aux premiers temps de la Révolution

LA CONCEPTION DU DROIT CRIMINEL
AUX PREMIERS TEMPS DE LA RÉVOLUTION

Extrait de
« La justice en France sous la Révolution »
de Edmond Séligman (Paris 1913)

La période libérale de la Révolution
a cherché à ouvrir une voie équilibrée
entre la protection de la société
et le respect des droits de la défense.

Ses travaux ont été ruinés, dans un premier temps,
par la prise de pouvoir d’idéologues radicaux.

Mais ils ont servi de point de départ
au législateur napoléonien pour la rédaction
du Code d’instruction criminelle de 1808
puis du Code pénal de 1810.

D’où l’intérêt de cette étude.

CHAPITRE X :
VOTE DE LA LÉGISLATION CRIMINELLE
ET ÉTABLISSEMENT DU JURY

Le 27 novembre 1790, le jour même où, en votant l’ensemble du décret sur le tribunal de cassation, la Constituante terminait la première moitié de sa tâche dans l’organisation judiciaire du royaume, Duport donna lecture du rapport présenté au nom des comités de constitution et de jurisprudence criminelle. Un mois après, le 26 décembre, commençait la discussion en séance. Ce débat n’a pas eu la même ampleur que celui dont était sorite la loi des 16-24 août 1790. La Constituante avait déjà admis le principe du jury criminel. Depuis un quart de siècle, le sentiment public s’était prononcé. En1789, en 1790, il ne se passe pas une semaine sans que les journaux annoncent la publication d’une nouvelle brochure sur la reforme pénale. Jurisconsultes, philosophes ou simples citoyens, ces écrivains sont unanimes à réclamer des peine modérées, un débat ouvert, de larges garanties pour la défense. Duport transforma en loi ces vœux de l’opinion.

L’expérience faite par le pays, pendant deux ans, du jugement public des procès criminels fournissait au législateur des indications précieuses. Par endroits, Duport s’est trouvé obligé de revenir en arrière. Il retire à la défense quelques unes des concessions que la Constituante lui a faites, dans l’enthousiasme de la première heure

Les propositions de Duport sont passées, presque sans changements, dans la Constitution de 1791, qui consacre plusieurs articles à la justice criminelle, dans la loi des 16-29 septembre 1791 sur la procédure criminelle et dans l’instruction du 29 septembre 1791, qui en est le commentaire législatif. Duport n’a rencontré de résistances que sur des questions secondaires.

§ 1 - LE RAPPORT DE DUPORT

La nouvelle procédure a pour point de départ la distinction entre l’œuvre de la police de sûreté et celle de la justice. Le juge de paix sera chargé de la police de sûreté en concurrence avec les officiers de gendarmerie, à l’exclusion de la municipalité

La police, dit Duport, serait trop active ou nulle. Elle prendrait un caractère d’inquisition et de tracasserie, se mêlant trop aux mouvements journaliers qui agitent les esprits, dans chaque endroit.

Au district, la police serait trop éloignée.

L’inculpé, placé par le juge de paix sous mandat d’amener ou mandat d’arrêt, est transféré au district. Un des juges, nommé directeur du jury, remplit des fonctions qui ont quelque analogie avec celles de notre juge d’instruction. Il examine les charges et propose au tribunal de district soit un non-lieu, s’il n’y a pas charges suffisantes, soit le renvoi de l’accusé devant le jury d’accusation. Il préside les opérations de ce jury. Après avoir pris connaissance du dossier et entendu les témoins en l’absence du prévenu, le jury d’accusation décide s’il y a ou non lieu à accusation.

Le jury d’accusation est d’origine anglaise. Dans le système de 1791, il constitue la garantie essentielle des droits de l’accusé pendant la phase préparatoire de la poursuite.

Tandis que le décret d’octobre 1789 plaçait, à côté du magistrat instructeur, les notables-adjoints, surveillants muets de ses premières démarches, le jury d’accusation n’intervient qu’à la fin de l’information, pour absoudre l’accusé ou le renvoyer au jury de jugement. Mougins de Roquefort critiquait ce mécanisme comme trop compliqué : « M. Duport, dit-il, a tout vu en philosophe et presque rien en magistrat... La nouvelle procédure donne un brevet d’impunité aux malfaiteurs du royaume. Si l’accusé, que vous renvoyez du gendarme au juge de paix, du juge de paix au petit jury, du petit jury au grand, est innocent, de combien ne retarderez-vous pas son triomphe ? S’il est coupable, ne craignez-vous pas qu’il trouve le moyen d’opérer, à travers ces lenteurs, son salut par sa fuite ? »

L’avenir a donné raison à Mougins de Roquefort : le jury d’accusation a disparu comme une superfétation.

Beaucoup de bons esprits, de nos jours, sont partisans de la publicité de l’instruction. Cette publicité est tutélaire pour l’innocence ; elle défend l’œuvre de justice contre les suspicions que provoquent les procédures secrètes. Mais l’expérience que la France en a faite, de 1789 à 1791, met en lumière les inconvénients qui sont la contrepartie de ces avantages. Après un essai de deux années, l’Assemblée constituante a dû y renoncer.

§ 2 - LE TRIBUNAL CRIMINEL

La constitution de 1791 décide que l’instruction des procès criminels sera publique. On entend par là l’instruction à l’audience, le débat devant le jury de jugement.

Toute la première partie du procès, jusqu’au verdict du jury d’accusation, se passe à huis clos : « Deux motifs principaux rendent ici le secret nécessaire, dit l’instruction du 29 septembre 1791, dans une mélancolique parenthèse, et ces motifs ne contrastent pas avec la publicité de la procédure, publicité qui doit être la sauvegarde des accusés. Car nous ne sommes point encore arrivés à la partie de la procédure qui doit faire juger si l’accusé est coupable ou non ; tout sera public alors. Quant à présent, il ne s’agit encore que de découvrir s’il y a lieu ou non à l’accusation et le secret est nécessaire, pour ne point avertir les complices de prendre la fuite et pour ne point avertir les parents et amis de l’accusé du nom des témoins, qu’ils auraient intérêt à écarter ou à séduire, avant qu’ils ne déposent devant le jury de jugement. »

Lorsque le jury d’accusation a renvoyé le prévenu devant le tribunal criminel, l’accusateur public prend la direction de la poursuite. C’est lui qui agit, et non le commissaire du roi, parce que « le roi, dit Duport, ne peut atteindre les particuliers que par l’intermédiaire des agents élus par le peuple. » La fonction du commissaire du roi sera de requérir l’application de la peine devant le tribunal criminel et de se pourvoir en cassation, au cas de violation de la loi.

Le tribunal criminel est composé du président, de l’accusateur public, nommés par les électeurs du département, avec des juges du district comme assesseurs. Cette juridiction, qui est la Cour d’assises du régime révolutionnaire, ne comprend, comme personnel spécial, que le président et l’accusateur public, plus le greffier.

À côté du tribunal, siège un jury de jugement, chargé de se prononcer sur l’innocence ou la culpabilité, le jury, clef de voûte du nouveau système pénal, qui mettra fin à tous les méfaits attribués à la vieille justice criminelle et que l’opinion attend avec impatience. Comme le jury d’accusation, le jury de jugement nous vient d’Angleterre. Il s’acclimatera facilement sur notre sol. Nos ancêtres l’ont pratiqué jadis. La participation du citoyen à l’œuvre de justice convient à nos origines germaines et latines. On n’est pas encore très bien fixé, en 1791, sur la façon de désigner l’institution. À l’inverse de ce qui se fait aujourd’hui, on donne le nom de jury à l’un des citoyens-juges pris individuellement, tandis que leur réunion s’appelle juré.

Pour mettre fin aux malentendus provoqués par la prononciation anglaise du mot jury, le Moniteur du 3 janvier 1791 propose le terme de jurande, devenu sans emploi depuis l’abolition des corporations.

La Constituante n’eut plus à discuter, en 1791, le principe, déjà voté, du jury criminel. Mais les partis politiques se heurtèrent à propos du recrutement des jurés.

Les hommes de gauche, Pétion, Robespierre demandaient que tout citoyen pût être juré. La droite, au contraire, par l’organe de Cazalès, ne voulait appeler à cette fonction que les citoyens éligibles à la législature, c’est-à-dire payant au moins quarante-huit livres d’imposition. Les deux opinions extrêmes succombèrent également. L’assemblée adopta le projet de Duport, qui confiait au procureur-syndic le droit de choisir, trimestriellement, deux cents jurés sur la liste générale du jury, où doivent se faire inscrire tous les citoyens actifs, à peine d’être privés pendant un an du droit de suffrage.

Pour chaque cause, douze jurés sont tirés au sort sur la liste des deux cents. Les récusations se font sur le vu du tableau, préalablement à la comparution de l’accusé. On a craint de mécontenter les jurés en les faisant venir inutilement.

§ 3 - LA PREUVE DEVANT LE JURY

Un débat très étendu s’engagea sur la façon dont la preuve devait être administrée devant le jury. Duport, par une analyse où se retrouvent les souvenirs du magistrat de l’ancienne école, distingue trois sortes de preuves : les preuves matérielles qui ne prouvent que le fait de manière absolue, « nuement » dit-il, comme les procès-verbaux ; les preuves mixtes qui lient le fait à un individu, telles que les taches de sang trouvées sur les vêtements -elles sont incorruptibles mais incertaines- et, enfin, les preuves personnelles, celles qu’apporte le témoignage des hommes : « Résultat de leurs sensations ou expression de leur volonté, il participe à toutes leurs imperfections, il se mêle à tous leurs vices ; il est souvent infidèle, comme les sens, instable comme la mémoire, exagéré comme l’imagination ; ce qui est pire, il est dicté par l’intérêt, commandé par haine, dénaturé par la crainte. C’est avec tous ces défauts qu’il va servir d’instrument à la plus pure des institutions, la justice ».

Par quel moyen la justice corrige-t-elle ces causes d’erreurs ? par la publicité, qui donne au témoin la conscience de ses devoirs et l’élève au-dessus de la crainte et de la passion. Afin d’assurer la pleine indépendance du témoin à l’heure de l’audience publique, Duport demandait que sa déposition ne fût pas couchée par écrit dans l’instruction préparatoire : « C’est la seule, façon que l’instruction soit faite par le juge, au lieu de lui être envoyée de cent cinquante lieues, comme autrefois ».

Le rapporteur n’accepte pas davantage que la déposition à l’audience soit rédigée ; il craint que l’on ne retombe dans les anciennes pratiques de la preuve légale, variable avec les tribunaux, dont plusieurs divisaient jadis la preuve en quarts, comme si la vérité se fractionne : « En l’absence de témoins, le jugement est un pur problème de l’esprit, pour la solution duquel le juge est bien obligé de ses faire des règles et des formules de probabilité ».

L’instruction exclusivement orale proposée par Duport avait des partisans considérables, Chabroud entre autres, qui disait que la déposition écrite ne sympathise pas avec l’institution du jury.

Elle fut combattue par les orateurs des divers côtés de l’assemblée : « Rien n’est si aisé que de juger quand une question se présente, disait Maury. Mais il n’en est pas de même quand les avocats ont parlé (On applaudit)... Si, depuis vingt ans, l’institution des jurés sans preuve écrite existait, Calas n’eût pas été réhabilité ». (Il n’eût pas été rompu, riposta un interrupteur).

Les deux jurisconsultes les plus écoutés de la Constituante, Tronchet et Thouret, prirent part au débat et proposèrent chacun un contreprojet. Tronchet demandait que les dépositions, faites publiquement, fussent rédigées par écrit et remises aux jurés avec les pièces. Si l’on n’écrit rien, disait-il comment pourrait-on réviser les procès criminels et établir les faux témoignages ? Il rappelait l’histoire de ce témoin qui prétendait avoir reconnu l’accusé à la lueur de la lune. En relisant sa déposition, on s’aperçut plus tard qu’il n’y avait pas de lune ce soir-là.

Les souvenirs des jurés et le calendrier eussent suffi à confondre cet imposteur, disait Thouret. L’obligation de coucher par écrit les dépositions des témoins va nuire à la rapidité des débats.

Il proposait, au nom des comités, que les dépositions fussent rédigées par écrit devant l’officier de police et le directeur du jury et lues à l’audience avant l’examen oral du témoin. Robespierre, Goupil de Préfeln et Prugnon parlèrent dans le même sens.

L’assemblée adopta le système de Thouret, en supprimant la lecture préalable à l’audience. Par égard pour Tronchet, on inscrivit dans la loi que les juges et les jurés pourraient prendre note de ce qui leur paraîtrait important, pourvu que la discussion n’en fût pas interrompue.

Nos tribunaux pratiquent depuis un siècle le régime adopté par la Constituante.

§ 4 - LA FORME DES DÉBATS ET LA DÉLIBÉRATION DES JURÉS

Cette question vidée, les formes du débat d’audience ne faisaient plus de difficulté. Le greffier lit l’acte d’accusation. Le président interpelle l’accusé en lui disant : « Voici de quoi vous êtes accusé ; vous allez entendre les charges qui sont portées contre vous ».

Puis, les témoins cités par l’accusateur public, ceux cités par la défense déposent. L’accusé fait, sur les dépositions, les observations qu’il croit utiles. Il a le droit d’amener des témoins pour attester sa moralité générale.

L’accusateur public requiert ; l’accusé ou ses amis, puisque le titre d’avocat est rayé de la loi, lui répondent. Le débat se termine par le résumé du président.

Ensuite les jurés délibèrent. Robespierre, à cette époque fort indulgent pour les coupables -car il était dans l’opposition- voulait que, comme en Angleterre, les verdicts de condamnation fussent prononcés à l’unanimité. On se contenta d’une majorité de dix voix sur douze. En Angleterre, disait Duport, l’unanimité s’obtient en enfermant les jurés : «  La majorité est contrainte de céder à la force de l’estomac ou de la volonté de la minorité... ».

Les jurés votent successivement sur le point de savoir si le fait est constant, si l’accusé en est convaincu, s’il l’a commis avec intention. Puis, on les interroge sur les circonstances du fait et sur les excuses. Pour chaque question, deux boîtes sont préparées. L’une est blanche, l’autre noire. Les votes recueillis dans la boîte blanche sont favorables à l’accusé.

Si le verdict est négatif, le président prononce l’acquittement. En cas de condamnation, le tribunal criminel applique la peine, sur les réquisitions du commissaire du roi. L’assemblée repoussa la proposition de Duport tendant à décider que les juges délibéreraient en public.

Une discussion intéressante s’engagea à propos de la question de l’indemnité à allouer aux victimes des erreurs judiciaires. Cette réforme, très prônée par les Cahiers de doléances et qui semblait réservée à un accueil favorable dans une assemblée aussi accessible aux considérations humanitaires, se heurta aux objections devant lesquelles elle a échoué, au Sénat, en 1895 : « Le législateur a tout fait, dit Martineau, quand il a donné aux citoyens les moyens les plus efficaces de se justifier ». Lanjuinais prétendait que les indemnités coûteraient vingt millions par an, que tous les individus acquittés n’étaient pas intéressants. L’article fut repoussé, après pointage. Un siècle s’est écoulé et le législateur n’a pas encore trouvé la formule qui conciliera le respect dû à l’autorité publique, au nom de qui la poursuite a été exercée, avec l’intéressante réclamation de l’innocence, temporairement mise en question.

Le 7 février 1791, Duport descendait de la tribune après avoir fait adopter les derniers titres de la loi. L’assemblée lui décernait une longue ovation pour l’œuvre importante qu’il venait d’accomplir. Le vote d’ensemble de la loi est à la date du 16 septembre 1791. L’assemblée alloua au président du tribunal un traitement double de celui des juges de district ; l’accusateur public eut les trois quarts du traitement du président.

On fixa au 1er janvier l’entrée en activité du jury. Les plus ardents n’acceptaient aucun délai. Duport dut supplier ses collègues de ne pas compromettre leur œuvre par une hâte inconsidérée. Une certaine préparation était nécessaire pour assurer le fonctionnement de la nouvelle institution. L’assemblée se rendit à ses raisons, avec quelque chagrin.

§ 5 - LE CODE PÉNAL

L’objet du code pénal (décret des 25 septembre - 6 octobre 1791) est de fixer les peines qui seront appliquées par le tribunal criminel aux condamnés, reconnus coupables par le jury. Le rapporteur du Code pénal, le Peletier de Saint-Fargeau, était, comme Duport, un ancien membre du Parlement de Paris. Aucun constituant ne se montra plus accessible aux idées réformatrices que ces deux privilégiés convertis.

Il y a, dit le Peletier, quatre espèces de police, la police municipale confiée aux officiers municipaux, la police correctionnelle, dont les juges de paix sont chargés, la police constitutionnelle, exercée par les supérieurs sur les inférieurs au moyen des monitions, cassations, interdictions et enfin la police de sûreté pour les crimes. C’est à cette dernière que se réfère le Code pénal. Il se divise en deux parties : 1° Description des peines, 2° Énumération et punition des crimes.

Le nouveau code supprime les crimes imaginaires d’hérésie, de lèse-majesté divine, de sortilège et de magie « dont la poursuite, vraiment sacrilège a si longtemps offensé la divinité et pour lesquels, au nom du ciel, tant de sang a souillé la terre ».Les comités réformateurs écartent aussi le « Code de la Ferme », ce monument honteux d’oppression et de despotisme, ceux des capitaineries, de la librairie, tous délits factices « créés par la superstition, la féodalité, la fiscalité et le despotisme ».

Posant ensuite les principes d’un bon système pénal, le Peletier explique « qu’une peine doit demeurer ce que l’équité des lois l’a faite et non ce que la rend la sévérité ou l’indulgence de l’exécution d’un jugement ». Réagissant, en effet, contre l’arbitraire, qui était la caractéristique de notre ancien droit pénal, la Révolution a imposé au juge des règles fixes, qui ont renfermé dans des limites trop étroites sa faculté d’appréciation. Il a fallu un effort séculaire pour corriger ce que la doctrine de 1789 a d’excessif en cette matière. La restauration du droit de grâce, l’admission des circonstances atténuantes, tout récemment la loi de pardon, que la pratique désigne par le nom de son promoteur, M. Bérenger et la loi sur la libération conditionnelle ont rendu un peu plus élastique l’application des peines. C’est l’humanité qui a bénéficié de ces réformes.

Trois caractères, d’après le Peletier, donnent aux peines leur force répressive. Il faut, en premier lieu,qu’elles soient durables, en second lieu, qu’elles soient publiques, ensuite, qu’elles soient rapprochées du lieu où le crime a éclaté.

Le système des peines doit « punir le coupable en le rendant meilleur ». Toutes les peines seront temporaires. Leur rigueur devant être décroissante, elles seront adoucies vers la fin de leur durée.

Les peines admises par le Code pénal sont la mort, les fers, la réclusion dans une maison de force, la détention, la déportation, la dégradation civique et le carcan. Le bannissement de province à province, la claie, le pilori, l’amende honorable, si usités sous l’ancien régime, sont supprimés. Il y eut quelque hésitation à propos de la marque, « voilée, mais ineffaçable, dont la justice pouvait au besoin retrouver l’empreinte ». Malgré ses avantages pratiques, la marque fut jugée incompatible avec le système des peines temporaires.

Le rapport de le Peletier, accepté par les comités, supprimait la peine de mort : « Si le fond du droit est incontestable, disait-il, de la nécessité seule dérive la légitimité de son exercice ».

Il substituait à la peine de mort, pour les crimes atroces, l’exposition, le cachot obscur, la solitude, les fers, le pain, l’eau et la paille. Une fois par mois, le peuple pourra voir le condamné chargé de fers, au fond de son réduit ; le nom du coupable, le crime et le jugement seront tracés en gros caractères sur la porte. Mais lors de la discussion en séance, un débat eut lieu, dans lequel furent développées, de part et d’autre, les idées générales, si souvent rééditées, depuis cette époque, sur la question de la peine de mort. Les jurisconsultes ordinaires de l’assemblée, Prugnon, Mougins de Roquefort, parlèrent contre l’abolition, qui fut soutenue par les orateurs du parti avancé, défenseurs compromettants aux yeux de la majorité.

Les prêtres eux-mêmes intervinrent dans la discussion et le Moniteur constate l’interruption d’un ecclésiastique, qui s’écria : « Ne trouvons-nous pas dans la Bible l’usage de la peine de mort ? ».

Chose singulière ! l’orateur qui leva les hésitations de l’assemblée fut Brillat-Savarin, dont le nom n’est point passé à la postérité comme celui d’un homme assoiffé de sang, surtout de sang humain.

Quand Duport voulut lui répondre, il trouva l’assemblée décidée : « Je vois bien, dit-il, que je ne fais que retarder d’un quart d’heure le rétablissement de la peine de mort ».

Pourtant, son discours contient une phrase admirable et prophétique : « Faisons, au moins, que les scènes révolutionnaires soient le moins tragiques et leurs conséquences le moins funestes possible ».

La peine de mort consistera en la simple privation de la vie, sans qu’il puisse être exercé aucune torture. Chabroud proposait la potence pour éviter l’effusion du sang. Une première épreuve fut douteuse. Le Peletier, dans un but de conciliation, émit l’idée de faire attacher le condamné à un poteau où il serait étranglé. Mais l’assemblée, pour mettre fin à une discussion pénible, accepta la décapitation. Le condamné à mort aura la tête tranchée ; les exécutions seront publiques. Les assassins et les incendiaires iront au supplice vêtus d’une chemise rouge ; le parricide aura la tête couverte d’un voile noir, qui ne sera enlevé qu’au moment de l’exécution. Garat aîné avait présenté un amendement proposant qu’on coupât le poing au parricide. Il fut repoussé à une très faible majorité, après que Beaumetz eut demandé que les prêtres, auxquels il était autrefois interdit de juger à mort, fussent tenus de s’abstenir.

Les crimes punis de mort sont la trahison, les complots contre la paix publique, la forme du gouvernement ou la personne du roi, la contrefaçon des papiers ayant cours de monnaie, l’incendie volontaire et la castration. Le trafic des votes par les membres de la législature est aussi puni de mort.

La peine des fers consiste dans l’exécution de travaux forcés, les condamnés traînant un boulet attaché à une chaîne de fer. Cette peine n’est jamais perpétuelle ; le maximum est fixé à vingt-quatre ans. Elle s’applique aux violences graves, viol, enlèvement de mineures pour les livrer à la prostitution, bigamie, destruction d’état civil, vol avec circonstances aggravantes, faux témoignage, banqueroute frauduleuse.

La gêne, c’est l’emprisonnement aggravé par l’isolement. Cette peine réprime certains faits du droit commun, mais surtout des crimes politiques, les tentatives contre les assemblées administratives et les tribunaux, l’entrée des troupes de ligne à moins de trente milles du Corps législatif, la résistance armée à l’autorité.

La dégradation civique est prononcée pour plusieurs atteintes à la Constitution, pour violation du secret des lettres. Le condamné est exposé sur la place publique, le greffier lui adresse à haute voix ces paroles : Votre pays vous a trouvé convaincu d’une action infâme ; la loi et le tribunal vous dégradent de la qualité de citoyen français.

Le carcan est appliqué aux femmes et aux étrangers, aux repris de justice qui, n’étant pas citoyens, ne peuvent être dégradés civiquement. Le greffier leur dit : Le pays vous a trouvé convaincu d’une action infâme.

Les condamnés aux fers, à la réclusion, à la gêne, à la détention sont exposés sur la place publique, avant de subir leur peine. Par un décret du 31 août 1792, l’Assemblée législative a substitué un emprisonnement d’un mois au carcan pour les femmes enceintes.

Le code pénal organise une procédure de réhabilitation. Deux officiers municipaux conduisent l’ancien condamné devant le tribunal criminel, à l’audience publique. L’un d’eux dit : Un tel a expié son crime en faisant sa peine ; maintenant sa conduite est irréprochable. Nous demandons, au nom du pays, que la tache de son crime soit effacée.

Sur l’attestation et la demande de votre pays, répond le président, la loi et le tribunal effacent la trace de votre crime.

L’intention est excellente. Mais, à ces manifestations pompeuses, qui attirent l’attention sur son passé, le condamné qui a expié préfère les formes, plus discrètes, de la réhabilitation moderne.

Signalons, en terminant, le curieux système que le Peletier de Saint-Fargeau avait imaginé pour la répression du duel. Le coupable serait attaché à un échafaud, exposé aux regards du peuple pendant deux heures, revêtu d’une armure complète et enfermé dans la maison des fous pendant deux ans : « L’usage du duel, explique le Peletier, était l’abus de la chevalerie, comme la chevalerie errante en était le ridicule. Emprunter ce ridicule pour en faire la punition de l’abus est un moyen plus répressif que les peines capitales, prononcées vainement contre ce crime qui, pas une fois, n’ont empêché de le commettre et ont été si rarement appliquées ».

On voit par là que le Peletier, grand amateur de livres, comme le constate l’inventaire dressé après son décès,avait lu don Quichotte. L’idée était originale, trop originale même : car elle disparut de la rédaction définitive de la loi.

Le dernier article du Code pénal fut voté le 26 septembre 1791. Il prescrivait que le décret nouveau ne s’appliquerait que devant le jury. Toutefois la disposition en vertu de laquelle la peine de mort ne consisterait que dans la simple privation de la vie, l’abolition de la marque et l’effet suspensif du pourvoi furent mis immédiatement en vigueur.

§ 6 - LA POLICE MUNICIPALE ET LA POLICE CORRECTIONNELLE

Le Code pénal et la Loi de procédure criminelle réglementent la répression des crimes. Restait à organiser la police municipale, qui a pour objet le maintien habituel d l’ordre et la police correctionnelle chargée d’atteindre les délits qui « sans mériter une peine afflictive et infamante, troublent la société et disposent au crime ». Ce fut l’objet du décret des 19-22 juillet 1791, intitulé Décret relatif à l’organisation d’une police municipale et correctionnelle.

La répression des contraventions et des petits délits, rixes et tumultes, délits de fournisseurs, blessures légères occasionnées par l’imprudence des voituriers, jeux sur la voie publique est maintenue aux administrations municipales. C’est une dérogation au principe de la séparation des pouvoirs administratif et judiciaire, une survivance de la juridiction du lieutenant de police. Les assemblées qui ont été assez fortes pour abattre successivement les ordres privilégiés, les parlements et le trône n’ont pas osé toucher aux droits du pouvoir municipal, représentant direct et local des populations.

Le tribunal de police municipale est composé de trois officiers municipaux. Dans les villes de plus de soixante mille âmes, ce nombre est élevé à cinq et, pour Paris, à neuf. Les peine sont l’amende ou une courte détention. On défère les appels aux tribunaux de district ; à Paris, au tribunal d’appel de la police municipale.

La municipalité dresse les états d’habitants, sur lesquels on porte comme gens sans aveu, ceux qui ne travaillent pas habituellement, comme suspects, ceux qui ne font pas de déclaration de résidence, comme mal intentionnés, ceux qui font de fausses déclarations. L’ancien régime avait imaginé des catégories analogues qu’il plaçait sous la surveillance des prévôtés : la loi des 19-22 juillet 1791 rend ces trois sortes d’individus justiciables de la police correctionnelle, pour le cas où ils participent aux rixes et attroupements. C’est dans cette disposition de salubrité publique que la Terreur a trouvé le principe de la législation sur les suspects.

La Police correctionnelle réprime les délits intermédiaires entre les crimes et les contraventions. Cinq espèces de faits rentrent dans sa compétence : 1° les délits contre les mœurs, les outrages à la pudeur, l’excitation à la débauche, la mise en vente d’ouvrages obscènes ; 2° les troubles à l’exercice des cultes ; 3° les insultes et violences envers les personnes, punies plus sévèrement si la victime est une femme, un enfant ou un vieillard, les homicides par imprudence, les outrages aux agents de l’autorité ; 4° la mendicité, le vagabondage ; 5° les atteintes à la propriété, vol simple, escroquerie, ouverture de maisons de jeu.

Les peines correctionnelles sont l’amende et l’emprisonnement, qui ne peut excéder deux ans, sauf en cas de récidive.

L’exercice de la justice correctionnelle est confié aux juges de paix. Trois de ces magistrats forment, dans les villes, le tribunal de police correctionnelle. Pour les localités où il y a moins de trois juges de paix, le tribunal se complète par des assesseurs. Dans les villes de plus de soixante mille âmes, le tribunal, composé de six juges de paix, se divise en deux chambres. À Paris, on affecte à ce service neuf juges de paix, répartis entre trois chambres.

Les appels sont portés au tribunal de district. Le département de Paris n’a qu’un seul tribunal d’appel, composé de six juges ou suppléants tirés des six tribunaux d’arrondissement. La Constituante n’a donc point sectionné par arrondissement la justice pénale, comme elle l’avait fait pont’ la justice civile. Une pratique de quelques mois avait mis en évidence le caractère artificiel de ce sectionnement.

Les poursuites sont intentées par le procureur de la commune ou la partie lésée. Si le délinquant a été appréhendé, c’est le juge de paix qui le renvoie au tribunal. L’instruction se fait à l’audience.

Cette organisation de la police correctionnelle est une des parties les plus faibles du système de 1791. Suffisante pour les petits délits, qu’il est avantageux de faire juger sur place, dans des formes simples, elle ne convient pas du tout pour les faits graves, comme le sont, presque toujours, le vol, l’escroquerie, l’outrage aux mœurs. Ces délits comportent fréquemment une instruction étendue. Ils doivent être jugés par un tribunal susceptible d’infliger avec autorité des pénalités redoutables, sur la poursuite d’un représentant du ministère public plus indépendant des passions locales que l’agent de la municipalité. Entre le tribunal criminel, où l’on avait accumulé toutes les garanties, et la justice de paix correctionnelle, il y avait place pour un organisme intermédiaire. Ici, la Constituante a failli à son devoir de défense sociale. À Paris, à Lyon, en Vendée, à Avignon, à Marseille, à Toulon et en bien d’autres endroits, une juridiction réprimant avec fermeté ces désordres quotidiens qui sont du ressort de la police correctionnelle, eût peut-être prévenu quelques uns des malheurs des années suivantes.

§ 7 - LES ARTICLES CONSTITUTIONNELS

La Constituante attachait, avec raison, une très grande importance à la conservation des réformes qu’elle avait introduites dans la législation criminelle. Aussi a-t-elle jugé utile d’en incorporer les principes dans la loi constitutionnelle des 3-14 septembre 1791.

La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui sert de préambule à la Constitution rappelle que : (art. 7) nul homme ne peut être arrêté ni détenu que dans les cas prévus par la loi et dans les formes prescrites ; (art. 8) la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, sans rétroactivité ; (art. 9) l’accusé étant présumé innocent, toute rigueur préventive est interdite et le droit de la société est simplement de s’assurer de sa personne.

Dans les dispositions fondamentales garanties par la Constitution figure la règle de l’égalité des peines.

Au chapitre V, titre III (du pouvoir judiciaire), la Constituante érige en maximes constitutionnelles : (art. 9) l’institution du jury d’accusation et du jury de jugement, la publicité de l’instruction, le droit au concours d’un conseil ; (art. 10 et suivants) les garanties de la liberté individuelle ; (art. 2, 25 et 26) la distinction entre les fonctions du commissaire du roi et celles de l’accusateur public, nommé par le peuple.

En incorporant dans la Constitution les règles fondamentales du nouveau droit pénal, l’assemblée croyait en assurer la durée. Elle s’est trompée, puisque la Constitution de 1791 a vécu moins d’un an. Mais il y avait dans ces réformes quelque chose qui leur garantissait l’avenir bien plus sûrement qu’une précaution législative : c’était l’esprit de la Révolution française.

§ 8 - ROBESPIERRE ACCUSATEUR PUBLIC

Dès le 25 février 1791, le roi avait sanctionné les articles relatifs à l’institution du président, de l’accusateur public, de leurs substituts et du greffier, seuls membres permanents du tribunal criminel, de façon que les élections eussent lieu immédiatement. Le corps électoral qui avait nommé les juges de district demeurant en fonction jusqu’au 15 juin 1791, ce fut lui qui procéda au choix des membres du tribunal criminel.

Dans la plupart des départements, les anciens lieutenants criminels furent appelés aux postes d’accusateurs publics. Le pays résistait à la brusque interruption des traditions judiciaires. Duport en fit l’observation, non sans un peu de mécontentement.

L’assemblée électorale parisienne procéda à ses opérations dans la dernière semaine de son mandat. Lacépède, l’illustre naturaliste, la présidait. Agasse, l’aîné, qui avait gardé sa popularité, était l’un des scrutateurs.

Duport fut élu, au premier tour, président du tribunal criminel, par 219 voix sur 304 votants. Cet hommage était dû à l’auteur de la loi sur les jurés. Trente voix se portèrent sur le Peletier de Saint-Fargeau, le rapporteur du Code pénal. Bigot-Préameneu fut nommé substitut du président.

Le lendemain et le surlendemain, l’assemblée procéda à la désignation de l’accusateur public, de son substitut et du greffier.

Frémyn fut nominé greffier ; il avait successivement exercé cette fonction auprès du Parlement et du tribunal des dix. Les électeurs comprenaient que la connaissance des traditions est nécessaire pour l’application des formes, même en temps de Révolution. Le substitut de l’accusateur public était d’André, député d’Aix, ancien membre du Parlement de Provence, suffisamment converti aux idées nouvelles.

Le choix fait par les électeurs pour le poste d’accusateur public vint désorganiser tout le tribunal : le 10 juin 1791, les électeurs appelaient à cette fonction Robespierre député.

Robespierre accueillit avec joie cette élection : le maniement du glaive était fait pour le tenter : « M. le procureur général syndic vient de m’annoncer officiellement le choix que vous avez fait de moi pour remplir les fonctions d’accusateur public au tribunal criminel du département de Paris, écrit-il. Je me fais un devoir d’accepter cette charge importante et pénible. Je n’envisage pas sans effroi la grandeur des obligations qu’elle m’impose. Mais j’ose espérer que l’amour de la patrie et le désir de justifier les suffrages glorieux qui me l’ont déférée me donneront les forces nécessaires pour en porter le poids ».

Dès la première heure, Robespierre, qui n’est arrivé au pouvoir qu’à force de ténacité dans les idées, avait prôné l’emploi des moyens judiciaires violents. Le mandat que lui décernait le corps électoral parisien mettait l’action publique entre les mains du parti avancé. Sous son impulsion, le tribunal criminel parisien fût apprêté à devenir le tribunal révolutionnaire.

Ses futurs collègues au tribunal criminel l’avaient vu à l’œuvre à la Constituante ; ils ne se méprirent pas sur ses intentions. Duport s’était trouvé plusieurs fois en conflit avec Robespierre, tout récemment encore à propos de la rééligibilité des constituants. En apprenant son acceptation, Duport, Bigot-Préameneu et d’André, qui s’étaient réservés jusque-là, avisèrent l’assemblée électorale de leur refus : « Mon attachement pour l’institution des jurés ne saurait être douteux, non plus que mon désir ardent de la voir réussir parmi nous, écrit Duport le 13 juin 1791... C’est avec le sentiment de la douleur la plus profonde que je me vois forcé par des circonstances impérieuses de renoncer à l’espoir d’être utile à mes concitoyens dans la place de président du tribunal criminel... J’espère sérieusement qu’aucun honnête homme, en y réfléchissant, ne pourra se résoudre à désavouer ma conduite ».

Le nom de Robespierre n’est pas prononcé dans cette lettre, pas plus que dans celle de Bigot-Préameneu, qui décline pour raison de santé, la place de substitut du président. Mais si l’on doutait que ce soit la nomination de Robespierre qui ait déterminé Duport à refuser le poste qu’il avait été heureux d’obtenir, on serait éclairé par les termes catégoriques de la lettre de d’André : « ... Au moment où la confiance de mes concitoyens m’appelle, je suis obligé de refuser l’honneur de leur choix. Je leur dois compte de mes motifs... J’aime la liberté ; mais je pense qu’elle ne peut exister sans l’ordre et l’obéissance aux lois et le respect pour leurs ministres. Cette obéissance, cet ordre sans lequel il n’est point de constitution, ont été interprétés différemment dans le cours de la Révolution. D’accord sans doute sur les principes, les résultats de M. Robespierre et les miens ont souvent différé sur ces points fondamentaux. Comment pourrions-nous donc partager des fonctions dont l’utilité consiste dans une marche uniforme, constamment dirigée vers la sûreté des personnes et le respect inviolable des propriétés ? Je me vois donc forcé, Messieurs, pour le bien même de l’institution des jurés, de refuser l’honorable poste auquel vous avez daigné m’appeler ».

Robespierre ne s’émut pas de cette hostilité. En même temps que ses trois collègues refusaient de siéger avec lui, il faisait part de son acceptation aux électeurs de Versailles, à cause de l’incompatibilité qui existait entre ses nouvelles fonctions et la présidence du tribunal de Versailles : « Les électeurs de Paris viennent de me nommer accusateur public au tribunal criminel de ce département. Des circonstances impérieuses, puisées dans l’intérêt public, m’ont forcé à accepter cette pénible et importante fonction. Mais le sacrifice auquel elles me condamnent ne fait que redoubler les sentiments de reconnaissance et d’attachement que j’ai voués pour ma vie aux citoyens de la ville et du district de Versailles. Je chercherai à justifier la confiance dont ils m’avaient honoré par mon zèle à servir la cause commune dans un poste plus difficile et plus périlleux ».

L’assemblée électorale parisienne procéda au remplacement des démissionnaires. Le 15 juin elle choisit pour la présidence Pétion de Villeneuve, qui subissait la direction de Robespierre. Buzot, député, fut nommé substitut du président, et Faure, avocat, substitut de l’accusateur public

Le tribunal criminel de Paris se trouva ainsi constitué.

Le 15 janvier 1792, les citoyens furent invités à se faire inscrire sur la liste du jury. Le directoire du département procéda au choix des deux cents jurés parmi lesquels devaient être tirés au sort, pour chaque affaire, les douze jurés appelés à rendre le verdict.

Depuis plus d’un siècle que le jugement des affaires criminelles est confié au jury, on a beaucoup discuté sur son recrutement. Le principe même du jury est intangible. Mais chaque fois qu’un de ses verdicts paraît choquant ou lorsque la réforme de la procédure criminelle revient à l’ordre du jour, il se trouve des jurisconsultes et des publicistes qui proposent, suivant leur point de vue, de restreindre ou d’élargir le cercle dans lequel s’opère les choix. Nos divers régimes politiques ont légiféré sur la composition du jury. En réalité, les discussions et même les votes législatifs, sont demeurés théoriques. Le jury a résisté aux efforts tentés pour le modifier. Il est, à notre époque sensiblement identique à ce qu’il était en 1792, comme valeur moyenne, au point de vue de la situation sociale et de la culture intellectuelle de ses membres. Le jury de 1792 comprend : cent seize commerçants, marchands de vin, entrepreneurs, peaussiers, coiffeurs, parfumeurs, orfèvres, etc. ; vingt-neuf personnes sans profession indiquée, sans doute des propriétaires des environs de Paris ; onze architectes, professeurs de musique ou artistes, huit assesseurs de juge de paix ou notables-adjoints, sept médecins, sept hommes de loi, six employés, trois jardiniers, trois huissiers, deux prêtres, deux fonctionnaires, un notaire, un secrétaire de section, un bachelier en droit, un officier, un commissaire, un maire.

Le recensement fait par M. Cruppi en 1898, qui s’applique au jury contemporain donne des résultats analogues. Il comprend huit cent quarante-neuf négociants, fabricants ou employés de commerce, deux cent quatre-vingt-un propriétaires et rentiers, cent soixante-quatorze représentants des professions libérales, cinquante-trois médecins, pharmaciens ou vétérinaires, cinquante-sept architectes, soixante-quatre retraités et vingt-deux artistes.

Le jury parisien a donc toujours été composé, en majorité, des représentants de la petite bourgeoisie, un plus peu éclairée que la masse, sans toutefois qu’elle en ait perdu le contact.

Pour faire place au tribunal du juré, comme disent les documents officiels, on déménagea le tribunal du premier arrondissement, qui se transporta à la Cour des aides. Le tribunal criminel fut installé aux Requêtes du Palais, à l’endroit où nos anciens ont vu longtemps la Cour d’assises, tout près de l’emplacement sur lequel on a bâti la salle actuelle des assises’

§ 9 - INAUGURATION DU TRIBUNAL CRIMINEL

L’inauguration du tribunal criminel eut lieu le 15 février 1792. Pétion, nommé maire de Paris, avait abandonné la présidence. Il fut remplacé par Treilhard qui, après avoir organisé dans la capitale le jugement par jurés, devait, quinze ans plus tard, contribuer à obtenir de Napoléon le maintien de l’institution.

Treilhard harangua les jurés : « L’humanité vous dira : Tremble, la vie d’un innocent peut-être dépend de ta déclaration. La nation vous criera : Sois juste. Si tu épargnes un coupable, tu assassines un innocent ».

Robespierre ne prit pas la parole à la séance d’inauguration. Il prononça, le jour même, aux Jacobins, un grand discours sur le rôle social du tribunal criminel et de l’accusateur public. Le choix de cette tribune donne une idée de la façon dont Robespierre entendait ses devoirs de magistrat.

Pendant quelques semaines, Robespierre participa aux travaux préparatoires du tribunal criminel. Ernest Hamel, qui a eu la bonne fortune de consulter les archives du tribunal criminel avant que les incendies de 1871 les eussent détruites, a vu, dans les dossiers d’instruction, nombres de pièces revêtues de sa signature.

Mais, quelques jours avant le début de la première session du jury, le 10 avril 1792, Robespierre se démit de sa fonction. Son biographe explique mal cette décision, que ses amis eux-mêmes critiquèrent. Sans doute Robespierre considérait que son heure n’était pas encore venue et il préférait renfermer son influence dans le cercle d’action des Jacobins. Il fut remplacé par l’ancien ministre de la justice Duport-Dutertre.

Le 15 avril 1792, Treilhard ouvrit la première session du tribunal criminel. Les jurés parisiens ont fait leurs essais sur une série assez banale de malfaiteurs, des assassins, des voleurs et, surtout, des fabricateurs de faux assignats qui continuaient à pulluler. Pourtant, deux cent cinquante personnes se pressaient, mal à l’aise, dans l’étroit local, désireuses d’assister aux débuts de cette justice si impatiemment attendue. L’installation matérielle était défectueuse et enlevait quelque chose à l’intérêt du spectacle. Les accusés se trouvaient placés à faux jour : le jury les voyait de face et la salle pas du tout.

§ 10 - LES PREMIERS VERDICTS

Les jurés de 1792 firent, comme leurs successeurs, preuve des qualités par lesquelles ces magistrats temporaires rachètent leur inexpérience. On les vit, pendant de longues audiences, suivre patiemment d’arides débats, avec une ardente soif de vérité, pleins d’angoisse à l’idée de condamner un innocent. Au mois de juin, ils consacrèrent à l’affaire des faux assignats de Passy une audience de vingt-huit heures, au cours de laquelle ils entendirent quarante-neuf témoins.

Dans sa première session, le jury rendit sept verdicts capitaux, trois pour assassinat, quatre pour fabrication de faux assignats. Il y eut neuf condamnations aux fers et à des peines plus légères. En juin, le tribunal criminel prononce treize condamnations à mort parmi lesquelles trois pour l’affaire des faux assignats de Passy. En juillet, il y eut encore six condamnations à mort. Ainsi, en trois sessions, les jurés prononcent vingt-six condamnations à mort, ce qui est un chiffre énorme.

Est-ce à dire qu’ils aient apporté une rigueur extrême dans l’exercice de leur mission ? Non ; à côté de ces sévérités, on relève des acquittements très nombreux. Dans la première session, il y a huit acquittements sur vingt-quatre accusés. C’est la proportion actuelle. La moyenne est plus élevée encore les mois suivants et atteint à peu près la moitié ; trente-six sur soixante-douze en juin, et trente-quatre sur soixante-dix en juillet.

Ces chiffres montrent que le jury a été, dès l’origine, semblable à lui-même, impitoyable pour les crimes contre la propriété ou les attentats qui menacent la sécurité de tous, fort indulgent pour les actes d’une portée individuelle, commis par un accusé intéressant. Le grand nombre des condamnations à mort tient à la multiplicité des désordres causés par la crise que traversait la société. L’influence des anciennes traditions de sévérité en matière de répression pénale est aussi pour quelque chose.

On approuva généralement ces premiers verdicts. Le 17 mai, Target rend compte au ministre de la justice, dans la conférence des présidents, de la satisfaction que le public a témoignée sur la forme des jugements par jurés. Les bons esprits ont été frappés de la justesse des observations du peuple qui assiste aux audiences. De l’avis de tous, le maintien d’institution concourra puissamment à la sauvegarde de la Constitution.

Les sessions du tribunal criminel de Paris furent mensuelles. Elles occupaient presque toute la seconde quinzaine du mois.

Au début, les avocats ne surent pas se mettre en communication avec leurs nouveaux juges. Ils plaidaient comme ils fait au Châtelet ou à la Tournelle, avec force emprunts aux ouvrages des criminalistes. Suivant la mode encore régnante, ils ne dédaignaient pas de citer les axiomes latins des vieux jurisconsultes : Testis unus, testis nullus, etc. L’étalage de leur érudition ne produisait aucun effet et, quant aux citations, on les trouva ridicules devant des juges qui n’entendaient pas le latin. Les avocats ont l’esprit souple. Ils comprirent leur erreur et modifièrent leur manière. C’est peut-être à cela qu’il faut attribuer la recrudescence des acquittements, au bout de quelques mois.

Dans les départements, l’institution du jury était entrée en activité dès le commencement de l’année 1792. Le tribunal criminel de l’Hérault tint sa première session au mois de janvier. Il avait pour président Cambacérès, le futur archi-chancelier, qui débutait dans la vie publique. Ainsi, les deux jurisconsultes qui ont eu le plus de part à la rédaction des lois criminelles que nous pratiquons aujourd’hui, Cambacérès et Treilhard ont inauguré la nouvelle forme de la justice pénale. Cambacérès exerça sa fonction avec une grande modération. Un accusé avait été reconnu coupable d’assassinat ; la peine était la mort. Le crime comportait quelque atténuation ; Cambacérès jugea le verdict excessif. Un article de la loi de procédure autorisait le président à adjoindre au jury, après le verdict, trois jurés nouveaux ; Cambacérès provoqua une nouvelle délibération. Le condamné s’en tira avec deux ans de détention.

Si la rectification du verdict est possible dans le sens de l’indulgence, elle ne l’est pas dans celui de la sévérité. Le jury de la Corse acquitte Marie Tondu qui avait tué Hippolyte Paciola, en lui portant neuf coups de couteau. Touchés par les reproches qu’on leur adresse, onze jurés demandent à modifier le verdict. Le tribunal accède à leur désir, malgré l’avis du commissaire du roi. Marie Tondu est condamnée. L’arrêt fut cassé le 22 juin, par le tribunal de cassation.

Le tribunal criminel de la Vienne (4) juge un cas devenu banal, à force de s’être reproduit. Une servante, accouchée clandestinement, avait jeté son enfant dans les privés. Les plaies constatées par le médecin témoignent de la fureur avec la malheureuse a traité le petit être. L’accusée avoue dans l’information. Devant les jurés, elle revient sur ses aveux et les citoyens-juges, attendris par ses larmes, acquittent la première fille mère dont on ait déféré à la Cour d’assises le crime et la misère.

§ 11 - LA GUILLOTINE

Une question restait en suspens dans la législation criminelle. Le Code pénal avait décidé que le condamné à mort aurait la tête tranchée, sans rien arrêter sur le mode d’exécution de la peine. Au moment où les tribunaux criminels entrèrent en activité, l’Assemblée législative, par le décret des 20-25 mars 1792, donnait au vœu de Guillotin sa forme définitive. La décapitation sera exécutée de la façon indiquée par le docteur Louis, secrétaire perpétuel de l’Académie de médecine, dont la consultation est annexée au décret.

Le mémoire du docteur Louis eut un tel succès que son auteur faillit devenir le parrain de l’instrument dont il avait donné la description. Pendant quelque temps, la guillotine s’appela la Louisette. Mais les habitudes du langage lui restituèrent bientôt le nom du philanthrope qui avait été, sinon son inventeur, du moins son patron. La première exécution par la guillotine eut lieu le 25 avril 1792 ; le patient était un nommé Pelletier, condamné pour vol.

Dans son enthousiasme pour le nouvel instrument de supplice, la Législative avait été un peu vite. Il fallait un délai pour que les départements fussent pourvus de guillotines. La loi étant immédiatement exécutoire, on dut surseoir à l’exécution des condamnations capitales. Le mécanicien Schmitt avait été chargé de fabriquer, sous la surveillance du docteur Louis, quatre-vingt-trois machines à décapiter. Les commissaires du roi, obligés d’assurer l’exécution des jugements, réclamaient avec instance : « Le public murmure de ne pas voir les coupables condamnés depuis longtemps subir l’exécution de leur jugement, écrit dans les premiers jours du mois de mai 1792, le ministre de la justice à son collègue Clavière, des contributions publiques, auquel ressortissait la confection des machines, et l’attente affreuse du supplice en est, à chaque instant, un nouveau pour ces malheureux. Ainsi, l’humanité autant que l’ordre public exigent que l’envoi de cette machine ne soit plus différé ».

Le Provost, commissaire du roi à Falaise, prit les devants sur les lenteurs ministérielles. Il fit construire, de sa propre autorité, une guillotine qu’il employa à l’exécution d’un nommé Duval Bertin. Le succès de son initiative fut complet, si l’on en croit le compte rendu qu’il adresse le 8 juin 1792, au ministre de la justice : « J’avais conçu, d’après une guillotine imagifiée, la forme et ordonné l’exécution de la machine l’exécution employée à l’exécution de Duval Bertin. J’ai eu l’honneur de vous faire part, par ma lettre du 17 dernier, de la rapidité incalculable avec laquelle la tête de Duval Bertin fut séparée de son corps. Cette rapidité fut celle de l’éclair, avant-coureur ou précurseur du tonnerre. Le clin d’œil ne peut voir la séparation d’une tête bondissante à dix-sept ou dix-huit pouces d’un tronc... Dix cols entassés n’auraient pas échappé à la force précipitée par la vitesse de cet instrument qui, après avoir produit son effet attendu, produisit celui d’entrer de toute l’épaisseur de la lame dans un morceau de bois ».

Les commissaires du roi des autres des autres départements, moins avisés que le Provost assiègent le ministre de leurs réclamations.

Le 17 septembre, Clavière annonce que les quatre-vingt-trois machines sont parvenues à destination ou en route, à l’exception de cinq.

La Convention était réunie avant que la distribution fût complète Au mois d’octobre 1792, Garat, ministre de la justice, transmet à Clavière les doléances du département de l’Orne, encore dépourvu de « cet instrument de mort, que la justice et l’humanité réclament également ».

À leur tour, les colonies se plaignent. En pluviôse an II, Sijean, l’un des commissaires civils envoyés aux Îles sous le Vent, demande l’envoi d’une guillotine. Bien que, à cet instant, la métropole ne laissât pas chômer ses guillotines, on lui expédie celle de Rochefort, que l’on remplace par une machine toute neuve.

CONCLUSION

La mise en service de la guillotine constitue une transition, malheureusement trop appropriée, entre la première et la deuxième phase de l’histoire de la justice pendant la Révolution. Elle forme la conclusion ironique de cette étude sur l’admirable effort tenté par les hommes de 1789 pour donner à la France les institutions judiciaires qu’elle leur demandait.

L’organisation votée par la Constituante est en pleine activité et le moment semblerait indiqué pour embrasser d’un coup d’œil le chemin parcouru. Mais, à peine inauguré, le régime nouveau va subir des chocs redoutables, auxquels il ne résistera pas complètement. Combinée pour assurer le bonheur pacifique d’un pays régénéré par la liberté, la justice instituée en 1790 et 1791 ne sera point suffisante pour maintenir l’ordre, au cours de la crise qui est à la veille de se déclarer. Sous la pression des événements, elle a été altérée dans son principe et troublée dans son fonctionnement. Les organes dont elle était dotée ont subi des modifications, les unes temporaires, les autres durables. Nous pensions être arrivés à l’étape ; nous ne sommes qu’à un tournant de la route qui nous conduira au point om les institutions civiles du pays ont revêtu la forme sous laquelle elles ont traversé le dix-neuvième siècle.

Signe de fin