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ADAGES CLASSIQUES
Introduction

- professeur Jean-Paul DOUCET -

Dans la querelle qui oppose les tenants du droit positif (aux yeux desquels seuls comptent les textes édictés par le législateur en place) aux adeptes du droit naturel (qui donnent priorité à quelques principes fondamentaux fondés sur la dignité de la personne humaine, la raison pure et l’équité), les maximes et adages traditionnels occupent une place de choix. Reflets d’une sagesse antique, rôdés par des siècles de pratique judiciaire, ils semblent révéler en une formule lapidaire une vérité éternelle.

Planiol (Traité de droit civil, 3e éd., TI, p.3 n°6) a justement observé que le droit naturel existe, heureusement pour l’humanité ; il se compose d’un petit nombre de maximes fondées sur l’équité et le bon sens, qui s’imposent au législateur lui-même. Si le législateur s’en écarte, il fait une loi injuste ou mauvaise… Le droit naturel est tout à la fois réduit dans son objet et supérieur dans sa position, relativement aux législations humaines qu’il inspire et qu’il domine. C’est ce qui explique un phénomène remarquable : les législations humaines positives, bien que très différentes les unes des autres, sont en générale conformes au droit naturel. C’est ce qui fait que le droit naturel, au milieu de cette diversité de législations, possède l’unité : il est simple et immuable. Depuis que la philosophie a commencé à étudier ces grands problèmes, les hommes se sont mis peu à peu d’accord sur les principes essentiels, pour l’éternel honneur de la raison.

Dans un ouvrage devenu classique relatif à « La technique de la jurisprudence en droit privé »,  E.-H. Perreau a consacré de remarquables développements aux maximes du droit. Nous en reproduisons des extraits ci-dessous.

M. le professeur Cornu (Dictionnaire de la culture juridique, v° Adages et brocards) souligne que les adages ont une vertu directive qui leur permet de s’adapter naturellement aux situations nouvelles, qui met en lumière la raison de la règle, qui favorise le débat contradictoire, et surtout qui, en énonçant un principe idéal, tire le droit positif vers le haut.

On peut également citer un article de M. le professeur Laingui, « Les adages du droit pénal » (publié à la Revue de science criminelle de 1986 page 25). Cette étude comporte, non seulement d’intéressantes observations générales, mais aussi une liste quasi exhaustive des adages, maximes et proverbes de notre ancien droit.

C’est l’occasion de préciser que figurent ci-dessous les seuls adages qu’il m’a été donné de rencontrer.

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« La technique de la jurisprudence en droit privé »

par E.-H. Perreau, T.I, p. 148, Chapitre 4 (Paris 1923, édition Rivière).

LES MAXIMES TRADITIONNELLES

Enclin aux idées générales, l’esprit latin avait déjà porté les jurisconsultes romains à dégager un grand nombre de règles dominant leur Droit (Digeste, I, 3, De legibus). Une tendance plus accentuée dans le même sens se rencontra chez nos pères, qui regrettaient de ne pas posséder une liste complète de toutes les règles générales du Droit civil, qui souhaitaient vivement voir compléter et coordonner le dernier titre du Digeste (désir que Pothier dans ses «  Pandectes », et Domat dans son «  Dilectus legum », s’efforcèrent de satisfaire), et qui recommandaient instamment l’étude soigneuse de, ces préceptes pour la formation juridique.

Les Papes Boniface VIII et Grégoire IX tentèrent de réunir en un seul corps toutes les maximes générales du Droit canonique (Merlin, Répertoire v° Règles de droit §2). Nous en avons reproduit quelques unes ci-dessus.

Selon la tendance naturelle dans toute législation coutumière, afin d’en conserver plus facilement les préceptes par tradition orale, de très bonne heure nos ancêtres condensèrent en formules synthétiques les règles de notre Droit coutumier. Elles furent principalement recueillies par Loysel dans ses fameuses « Institutes coutumières » ; sous leur texte proverbial toujours expressif, parfois jusqu’à la crudité.

Enfin, d’après une habitude commune à toutes les professions, les praticiens du Palais peu à peu mirent en brefs axiomes, généralement latins, les principes les plus importants ou les plus fréquemment appliqués du Droit civil et de la procédure, parfois en en puisant les termes essentiels dans les compilations justiniennes, le plus souvent en les forgeant de toutes pièces. Plusieurs fois ces axiomes furent, non seulement réunis dans des recueils, mais encore commentés par des jurisconsultes français ou étrangers (Voir le riche recueil du portugais Barbosa). Semblables recueils ont même encore été confectionnés depuis le Code civil ; les plus célèbres sont ceux de Dupin (« Règles de droit et de morale tirées de l’Écriture sainte »). Certains auteurs placent à la fin de leurs ouvrages la listes des adages qu’ils ont le plus invoqués (Planiol, «  Traité de droit civil »).

Cet usage de mettre des règles juridiques en proverbes n’est pas perdu, et l’on fabrique toujours de tels brocards à l’heure actuelle, comme : « Le droit de chacun s’arrête où commence le dommage d’autrui…, le criminel emporte le civil…, pas de nullités de mariage sans texte »…

La valeur des vieux adages est extrêmement variable. Ceux qui sont formés d’un texte ou d’un tronçon de texte latin ont une portée sérieuse, leur idée fondamentale ayant été dégagée par de véritables jurisconsultes. La plupart des autres, introduits par de simples praticiens, énoncent des principes d’une exactitude approximative qui, pris au pied de la lettre, conduiraient à d’inadmissibles exagérations. L’un des exemples les plus fâcheux est le dicton : « Habilis ad nuptias, habilis ad pacta nuptialia », beaucoup plus absolu, dans sa concision simpliste, que la règle formulée par Dumoulin « habilis ad nuptias, habilis ad pacta quae in talibus apponi solent » et finalement reprise par la Cour de Cassation après une controverse d’un siècle. D’où la défaveur qu’une grande partie de la doctrine inflige à l’ensemble des adages.

Liés à notre ancienne organisation sociale et politique, beaucoup de ceux qui provenaient de notre fonds national ont disparu avec elle. Mais on en invoque encore beaucoup d’autres à l’École et au Palais. Quelle-est donc aujourd’hui leur autorité ?

Les rédacteurs du Code civil n’ont eu la prétention de faire œuvre ni doctrinale ni complète. Pour expliquer ou compléter les préceptes qu’ils édictent, la place reste donc libre chaque fois qu’ils ne contredisent point les maximes traditionnelles ; car, en raison de la diffusion que leur assurait leur forme proverbiale, ils n’auraient point manqué de les rejeter nettement, s’ils n’avaient entendu les maintenir.

Dans la discussion du Code civil ou de la loi du 30 ventôse an XII, on relèverait de nombreuses déclarations favorables à leur survivance et précédemment nous avons rapporté, plusieurs fragments du discours préliminaire du Code civil très formels en faveur de leur maintien. On se divisa seulement, question examinée plus loin, sur le point de savoir si ces axiomes auraient force de loi ou de raison écrite, c’est-à-dire, pratiquement, si leur observation serait ou non sanctionnée de pourvoi en Cassation.

Actuellement on admet à l’ordinaire leur survivance, sauf à discuter leur portée, non seulement de ceux dont nos Codes reproduisent la formule, mais aussi de ceux dont ils donnent la substance ou font des applications caractéristiques. Ce sont, par exemple,, en Droit civil les brocards : leges instituuntur dum promulgantur (art. 1er C.civ.), tempus regit actum (art. 2)… locus regit actum (art, .47, 170, 999), en mariage il trompe qui peut (art.180)…

Ce sont aussi, en procédure : actor sequitur forum rei (art. 59 C.pr.civ.), opposition sur opposition ne vaut (art. 165 C.pr.civ.)… tantum devolutum, tantum appellatum

Ce sont également celles que confirment nos Codes criminels : nulla poena sine lege (art. 4 C.pén.), le criminel tient le civil en état (art. 3 §2 C.inst.crim.), non bis in idem (art 360 C.inst.crim.)…

D’autre part, on admet communément la survie des maximes d’interprétation guidant les juristes, qu’il n’était pas indispensable d’inscrire dans les Codes et qui valent comme principes rationnels : speciala generalibus derogant, exceptio est strictissimae interpretationis, poenalia sont restringenda, cessante ratione legis, cessat ejus dispositio, ubi lex non distinguit, nec nos distinguere debemus, qui dicit de uno negat de altero

D’une manière plus générale, on admet comme se justifiant par eux-mêmes ; sans nul besoin de sanction légale expresse (toujours sauf à discuter leur portée) tous proverbes juridiques exprimant, dans notre conception française du Droit, le sens commun appliqué au Droit ; par exemple : idem est non esse et non probari, accessorium sequitur principale, neminem laedi qui suo jure utitur, quod nullum est nullum producit effectum

Ou ceux d’élémentaire équités, comme : cuique suum reddere…, nemo cogitur edere contra se…, votenti non fit injuria…, tout travail mérite salaire, … quod ad jus naturale attinet omnes homines aequale sunt

Ou de bon ordre social, comme : nul ne peut se faire justice à soi-même, … nemo censetur ignorare legem, … de minimis non curat praetor, … fraus omnia corrumpit, … dura lex sed lex, …error communis facit jus

A cette dernière catégorie d’axiomes se rattachent ceux qui garantissent la dignité de la justice, par exemple : Jura novit curia, la plume est serve, la parole est libre, l’Ordre est maître de son tableau.

La discussion relative à la conservation des adages commence seulement avec les dictons non visés par la loi, contenant une part d’arbitraire plus ou moins grande, parce que, en précisant dans le détail des notions pratiques, ils s’éloignent des larges idées communes résultant du simple bon sens, de l’intime sentiment de la justice ou des évidentes nécessités dû bien public. Or, ce sont eux qui forment le gros bataillon. Sans prétendre nullement les énumérer tous, - leur nombre est considérable, - indiquons, pour montrer combien ils s’imposent moins que les précédents, ceux qu’on invoque le plus couramment, ou qui donnent lieu spécialement à discussion…

Et parmi celles qui regardent la procédure : Nul ne plaide par procureur, electa una via non datur recursus ad alteram, nemo auditur propriam turpitudinem suam allegans

Signe de fin