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LE REPENTIR DU « BON LARRON »

( selon le Père Bruckberger, dans son « Histoire de la vie de Jésus Christ » )

L’Évangile rapporte l’épisode des deux larrons crucifiés avec Jésus. L’un des malfaiteurs qui étaient en croix l’insultait et disait :

- N’es-tu pas le « Christ ? Sauve-toi toi-même, et nous avec.

Mais l’autre prit la parole pour le faire taire et dit :

- Tu n’as donc même pas la crainte de Dieu, toi qui endures le même supplice ? Pour nous, c’est justice, car nos actions ont mérité le châtiment que nous recevons. Mais lui n’a rien fait de mal.

Et il disait :

- Jésus ! souviens-toi de moi lorsque tu viendras dans l’éclat de ton règne.

Et Jésus dit :

- En vérité, je te dis, aujourd’hui, tu seras avec moi dans le Paradis.

Voilà, pendant la vie mortelle de Jésus, la dernière conversion qu’il ait faite, le dernier témoignage qui ait été donné à sa majesté divine, la dernière profession de foi en sa qualité de Roi d’un Royaume qui transcende la mort. Et quel est cet homme qui rend à Notre-Seigneur cet ultime et sublime hommage ? Le pape ? Non : saint Pierre pleure son reniement, se terre et se tait. Les apôtres ? Non : à part saint Jean, eux non plus ne sont pas là, et par la suite on verra bien que les premiers évêques ont perdu cœur. Cet ultime, clair et public hommage vient à Jésus d’un homme que, trois heures plus tôt, il n’avait jamais rencontré. Quel homme ? Un brigand, crucifié avec lui, qui reçoit la rançon de ses crimes, et qui, dans le même temps, confesse ses crimes, la justice de son châtiment et la divinité royale de Jésus-Christ. C’est lui que la piété chrétienne appelle avec tendresse « le bon larron ».

On ne voit pas, dans les Évangiles, que Jésus ait beaucoup fréquenté les bandits : il n’en eut pas l’occasion. Et voilà qu’en une demi-journée, la dernière de sa vie mortelle, son destin se trouve intimement mêlé au destin de trois brigands : Barrabas, et les deux larrons crucifiés en même temps que Jésus. C’est beaucoup en quelques heures. Jésus a pris la place de Barrabas sur la. croix, ou bien Barrabas a pris la place de Jésus dans la liberté. Toujours est-il que Jésus est là, crucifié comme un hors-la-loi, avec deux autres hors-la-toi. Un autre eût protesté contre un tel voisinage, Jésus l’accepte, et sa dernière conversation est avec l’un de ces deux misérables. Avec sa mère ou avec saint Jean, il n’y a pas eu conversation : lui seul a parlé, eux se sont tus. Mais avec le bon larron, c’est en effet un échange, et quel échange ? De quoi rendre espoir aux plus déchus d’entre nous.

Ce bandit chevronné eut tout à coup le cœur illuminé. Il vit clair. Du haut de sa croix, tout lui apparut soudain, comme après une longue nuit, l’immense élargissement de l’aube. Il voyait l’autre côté des choses. Son propre supplice, celui de Jésus, la dérision suprême de cette exécution et de ce pilori, la défaite évidente de toute gloire temporelle, l’infamie de ce gibet, rien de tout cela n’empêcha le bon larron de discerner en son compagnon de misère le Messie-Roi promis depuis deux mille ans et que proclamait (ironiquement et) véridiquement l’écriteau de Pilate.

II y a une familiarité privilégiée dans le fait de partager le même supplice. Évidemment, même cette triste communion, on peut la refuser, et c’est ce que fait le mauvais larron qui plastronne jusque sur la croix. Mais le bon larron, qui devait le connaître bien, le rappelle à l’ordre. Dans un éclair surnaturel, - de tel éclairs sont plus fréquents qu’on ne croit, - le bon larron perçoit que sa chance, la chance de toute sa vie, est là, sur ce lieu de son supplice qu’on appelle Calvaire. Il voit, clair comme le jour, qu’il n’a été créé et mis au monde, qu’il n’est né et n’a vécu, que pour ce qui se passe maintenant, pour être dans la suprême agonie, dans le supplice, le déshonneur et la mort, le compagnon de Dieu et pour en rendre témoignage.

Il comprend que ce compagnonnage inattendu et sublime transforme en gloire la honte de sa condition. Ce compagnonnage fait de lui un prophète ... Sur ce ton à la fois tendre et impérieux qu’ont les soldats au feu, le brigand dit : « Jésus ! souviens-toi de moi quand tu viendras dans la gloire de ton règne ! » Il ne supplie pas, il commande. Ce droit impérial lui vient de son compagnonnage avec Jésus sur la Croix. Après tout, il ne sera jamais que le seul à user d’un tel droit…

Au sujet de ce bandit-là, j’ai quelque chose sur le cœur. Après deux mille ans de christianisme et de cycle liturgique, il me semble qu’on aurait bien pu donner un jour de fête au bon larron. … Pour le bon larron, rien, l’année n’a pas assez de jours pour lui. Il doit inquiéter les curés et faire peur aux panégyristes. Ce n’est pas un paroissien modèle que celui qui n’entre dans la paroisse que pour sa dernière heure. Il n’est évidemment pas le genre de bon-homme qu’on aime rencontrer seul à seul au coin d’un bois. Les Romains l’ont supprimé, il est vraisemblable que nos sociétés modernes, en feraient autant. Le plus fort est qu’il est de cet avis et qu’il estime juste son propre châtiment. Bref il est infréquentable, pas de fête pour lui.

Lui bien entendu s’en moque : il lui suffit d’être de Jésus-Christ le compagnon de misère, son premier martyr, celui qui le premier reçut le baptême de sang et de désir. Ce brigand-là a gardé assez le sens de la justice pour s’indigner, non de son propre supplice qu’il accepte, mais du supplice infligé à Jésus-Christ.

Je trouve qu’il est exemplaire. Il ne représente rien de social auprès de Jésus, absolument rien, ni la famille, ni l’amitié, ni la mission apostolique ou sacerdotale, ni l’autorité papale, rien, absolument rien, que le compagnonnage de hasard de cette crucifixion, et puis cette profession de foi des misérables en leur Seigneur, la rédemption des péchés accordée à cette profession de foi, et enfin la promesse du Paradis faite par celui-là qui est Roi du Paradis … A la réflexion d’ailleurs on ne sait même pas le nom de cet homme ; il ne nous est même pas présenté, comment pourrait-on donner son nom à un enfant comme nom de baptême ? C’est un contrebandier du Paradis.

*

Comme en écho,
ce texte de G. Brassens,
tiré de « L’assassinat » :

… prise d’un vrai remords,
Elle eut chagrin du mort.
Et sur lui tombant à genoux,
Elle dit : - Pardonnes-nous !

Quand les gendarmes sont arrivés,
En pleurs ils l’ont trouvée.
C’est une larme au fond des yeux
Qui lui valut les cieux.
Et le matin qu’on la pendit,
Elle fut en Paradis.

Signe de fin