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CAS DE CONSCIENCE DE L’AVOCAT SCRUPULEUX

Jean Pontas, "Dictionnaire de cas de conscience" ( Paris 1847 )

La principale attention d’un avocat doit avoir pour objet l’examen de la cause dont on veut le charger. Il en est de droit le premier juge. Avant de l’entreprendre il doit … en examiner avec soin, sans intérêt et sans prévention, la nature et les raisons dont on peut l’appuyer. On ne pourrait trop blâmer les avocats qui n’useraient en cela d’aucun discernement et se chargeraient indifféremment et sans examen de toutes sortes d’affaires, parce qu’ils trouvent tout procès bon, et que, soit qu’ils le gagnent ou qu’ils le perdent, il leur est également lucratif. Un bon avocat n’est pas celui qui d’une mauvaise affaire en fait une bonne. Ce n’est point là être avocat, mais plutôt un habile sophiste et un adroit imposteur.

Trois sortes de causes peuvent être portées devant les tribunaux : des causes injustes, des causes justes et des causes douteuses.

Les causes injustes, connues pour telles, ne doivent point trouver de protection parmi les avocats. Ils sont obligés par leur serment à ne pas s’en charger, quand même ils sauraient que quelques-uns de leurs confrères n’auraient pas cette délicatesse, et leur enlèveraient leurs pratiques ordinaires. S’ils se chargeaient d’une pareille cause, ils seraient parjures, deviendraient injustes eux-mêmes, et obligés à restitution envers la partie adverse, dans le cas de la perte de son procès. Ils sont même tenus à restituer par préférence à leur partie qui profite du gain du procès, puisque ces procédures sont leur ouvrage. Un avocat qui se charge avec connaissance d’un mauvais procès n’est pas seulement tenu à la restitution, par rapport à la partie adverse, mais encore par rapport à sa propre partie, qu’il a dû avertir de la nature de son affaire.

Dans les affaires douteuses, l’avocat n’est plus si gêné par la crainte de blesser la justice. Il peut alors, pour rendre la condition de sa partie meilleure, faire valoir l’incertitude des jugements humains et proposer des accommodements.

Cas - Clitus plaide pour des causes dont le gain ou la justice lui paraissent moins probables que celles de la partie adverse. Le peut-il ?

Réponse. La chose est controversée. Les uns soutiennent qu’il ne le peut pas; d’autres prétendent qu’il le peut, pourvu qu’il prévienne son client du peu de probabilité de ses prétentions. La raison en est, dit saint Liguori, qu’une opinion moins probable peut devenir plus probable avec le temps, soit encore parce que souvent une opinion qui parait moins probable à un avocat, parait plus probable au juge. Si la probabilité de la justice de la cause était au moins probable, il faudrait raisonner différemment.

On demande si un avocat peut, en matière criminelle, prendre la défense d’un accusé qu’il sait certainement être coupable ? Il le peut. Car ce n’est point le crime qu’il se charge de justifier, mais celui qui l’a commis, en cherchant à faire valoir les circonstances qui peuvent atténuer sa faute. Du reste un criminel n’est pas tenu à la peine tant qu’il n’est pas convaincu ; il peut donc, par lui-même ou par son avocat, éloigner autant qu’il le peut d’être convaincu.

Si la cause est juste l’avocat doit employer tous ses moyens pour la faire réussir. Si, par ignorance ou par négligence, il laisse perdre cette cause, il est obligé d’indemniser son client de la perte de son procès. Mais il faut que cette négligence soit une faute grave. Quelquefois cependant un avocat peut être tenu d’une faute très-légère.

Un avocat ignorant ne peut pas en conscience se mêler d’exercer une profession dans laquelle il n’est pas assez versé.

Un avocat doit respecter la vérité, soit dans les faits, sans en retrancher aucune des circonstances essentielles et décisives, sans y en ajouter de fausses et de controuvées, soit dans les autorités qu’il allègue, les lois qu’il cite, l’interprétation qu’il en fait.

Il doit s’abstenir de tout ce qui peut blesser la réputation du prochain, de l’injurier par des paroles outrageantes ; il y a en cela péché mortel, lorsque l’injure ou la médisance sont considérables. L’injure, la médisance, ne sont employées comme moyen de défense que par les avocats médiocres. Les avocats doivent plaider pour leur partie et non les uns contre les autres. La justice est chaste, les avocats la déshonoreraient si dans ces sortes d’affaires ils s’expliquaient d’une manière licencieuse.

Les avocats pour leurs honoraires doivent s’en tenir aux règlements. « A défaut de règlement, [disait] un décret de 1810, et pour les objets qui ne seraient pas prévus dans les règlements existants, les avocats taxent eux-mêmes leurs honoraires avec la discrétion que l’on doit attendre de leur ministère. Dans le cas où la taxation excéderait les bornes d’une juste modération, le conseil de discipline la réduira, eu égard à l’importance de la cause et à la nature du travail. »

Un avocat doit plaider pour le riche comme pour le pauvre.

Avocats, avez-vous donné vos avis au plus près de votre conscience ? Avez-vous engagé sciemment vos clients dans de mauvais procès ? Vous êtes-vous servis de moyens iniques de défense, comme calomnies ou manifestations de crimes vrais, mais qui ne peuvent aider la cause ? Avez-vous engagé à un arrangement dans une cause évidemment injuste ? Ne vous êtes-vous point chargés de trop de causes ? Avez-vous refusé de communiquer les faits et les pièces ? Avez-vous tout embrouillé pour vous tirer d’une cause dont vous vous êtes imprudemment chargés ? Avez-vous trahi le secret ? Avez-vous plaidé avec trop de passion et indisposé les juges ?

Dans tous ces cas il y a péché plus ou moins grave, selon la gravité du dommage que l’avocat pourrait avoir causé.

Cas I - Camille a entrepris purement par ignorance la défense d’une cause injuste. Est-il coupable devant Dieu ?

Réponse. Si l’ignorance de cet avocat est crasse ou affectée, elle ne sert qu’à le condamner ; mais si elle regarde une matière fort difficile et qui passe la portée du commun des avocats, et qu’il ait apporté tous ses soins pour s’éclaircir de la justice de la cause, il doit être excusé de péché.

Cas II - Tribonien, avocat, ayant entrepris une cause qu’il croyait d’abord juste, mais qu’il a reconnue comme injuste dans la suite du procès, doit-il y renoncer ? et s’il continue de la défendre, est-il tenu de restituer à son client l’argent qu’il en a reçu, et même de dédommager la partie adverse à qui il a fait tort ?

Réponse. Il est obligé à tout cela, s’il continue à soutenir l’injustice ; parce qu’il est la cause des frais que fait son client et des dommages de sa partie adverse.
- S’il lui en avait coûté pour se bien mettre au fait de la question, il serait juste que son client y eût égard
.

Cas III - Salluste ayant été d’abord très persuadé que la cause dont il s’était chargé était juste, a reconnu qu’il était fort probable qu’elle était injuste ; et cela dans le temps même qu’elle était en état d’être jugée. Est-il obligé à l’abandonner, ou peut-il aider de ses avis la partie adverse, afin de réparer le tort qu’il lui a causé par les écritures qu’il a faites ou par les plaidoyers qu’il a déjà faits ?

Réponse. Le conseil qu’on peut donner à cet avocat est qu’il porte son client à s’accommoder avec sa partie adverse d’une manière qui soit juste ; et, sur son refus, il est obligé de se désister de la défense de cette cause ; mais il ne peut en conscience en trahir le secret, en aidant de ses avis la partie adverse. C’est la décision de saint Thomas, 2-2, q.71, art. 2.

Cas IV - Scévole plaidant pour Jean contre Jacques a fait tout ce qu’il a pu pour rendre Jacques odieux aux juges, en lui imposant plusieurs faits qui lui sont injurieux, et qui étaient étrangers à la cause. 1° A-t-il péché mortellement ? - 2’ Est-il obligé à quelque restitution ?

R. Scévole n’a pu, sans un grand péché contre la charité et la justice, diffamer Jacques, ou l’insulter par des termes offensants, sous prétexte d’indisposer les juges contre lui, à moins qu’il ne s’y trouvât indispensablement obligé par la nature même de la cause qu’il défendait. D’où il suit qu’il est obligé à la réparation qui est légitimement due à Jacques, comme tout autre chrétien y est obligé; et cela d’autant plus que ce procédé est défendu aux avocats par plusieurs ordonnances de nos rois, et nommément par celles de 1364 ; de 1435, art. 54 ; de 1507, art. 22, etc.

Cas V. Mainbeuf, très-pauvre, prie Elpidius de défendre sa cause. Elpidius le refuse, parce qu’il n’y a rien à gagner. Pèche-t-il ?

Réponse. Cet avocat pèche, comme pécherait un riche qui pouvant faire aisément l’aumône la refuserait à un pauvre réduit à une extrême ou très-grave nécessité ; et dans ce cas le juge doit l’y contraindre, comme cela se fait à Grenoble. selon Guipape, qui y était conseiller. Au parlement de Provence, il y a un avocat stipendié pour les pauvres ; apparemment il y a aussi des règles pour empêcher les abus qui pourraient en naître.

Cas VI - Lentulus ayant un procès d’une longue discussion a promis à son avocat cent pistoles pour ses peines s’il le gagnait, et cinquante seulement en cas qu’il le perdrait. Six mois après il s’est accommodé avec sa partie. L’avocat soutient que Lentulus lui doit les cent pistoles, tant parce qu’il a déjà beaucoup travaillé, que parce qu’il n’a pas tenu à lui qu’il n’en ait eu tout le bon succès qu’il s’en promettait. Lentulus est-il obligé en conscience à donner cette somme ?

Réponse. Si Lentulus s’est accommodé avec sa partie, en fraude de la promesse qu’il avait faite à son avocat, et pour avoir un prétexte de ne pas l’accomplir, il est tenu de lui payer toute la somme qu’il lui a promise. Mais s’il s’est accommodé de bonne foi et croyant qu’il lui était avantageux pour son intérêt et pour son repos de le faire, il suffit qu’il paie Tullius à proportion du travail qu’il a fait jusqu’alors. C’est le sentiment de saint Antonin.

Cas VII - Pomponius ayant entrepris de défendre la cause de Thibaud l’a laissé perdre par malice, par ignorance ou par imprudence, quoiqu’elle fût très juste. Est-il tenu en conscience à la réparation de tout le dommage qu’en a souffert Thibaud ?

Réponse. Il y est obligé, selon cette maxime si rebattue de Grégoire IX : Si culpa tua datum est damnum, vel injuria irrogata ... aut haec imperitia tua sive negligentia evenerunt, jure super his satisfacere te oportet : nec ignorantia te excusat, si scire debuisti, ex facto tuo injuiiam verisimiliter posse contingere vel jacturam.

Au reste, ce que nous disons ici d’un avocat se doit entendre aussi des procureurs, des greffiers, des notaires, des médecins, des chirurgiens, des apothicaires, et de tous les autres maîtres, de quelque profession que ce soit, qui sont tous obligés à réparer le dommage qu’ils ont causé, non seulement par une faute notable, mais encore par celle que le droit appelle légère ; parce que ceux qui s’adressent à eux ne le font que dans la confiance qu’ils ont dans leur capacité et leur exactitude.

Signe de fin