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JUGEMENT DE P. R. DU TRUCHE DE LA CHAUX

rendu par le Parlement de Paris en 1762

Muyart de Vouglans (Les lois criminelles de France, Paris 1783, p.136) écrit : Nous avons un exemple singulier de délation par cupidité, dans la personne d’un garde du Roi qui, pour avoir fabriqué des impostures contre la sûreté du Prince, et la fidélité de la Nation, a été condamné à la potence par un arrêt du Parlement de Paris, que nous croyons devoir rapporter ici.

Vu par la Cour le procès criminel fait par le Prévôt de Paris, ou son lieutenant-criminel au Châtelet de Paris, à la requête du substitut du procureur-général du Roi audit siége, demandeur & accusateur contre Paul-René du Truche de la Chaux, Écuyer, ci-devant garde du Roi défendeur & accusé, prisonnier dans les prisons de la Conciergerie du Palais, appelant de la sentence rendue sur ledit Procès, le 26 Janvier 1762 ;

Sentence par laquelle Paul-René du Truche de la Chaux est déclaré dûment atteint et convaincu d’avoir, le 6 du présent mois, entre neuf et dix heures du soir, étant lors de service et en habit uniforme, mis à exécution dans le château de Versailles, le Roi soupant à son grand-couvert, le détestable projet par lui formé dès le mois d’Octobre précédent, de faire croire qu’il aurait été assassiné par des gens qui en voulaient à la personne sacrée de Sa Majesté ; de s’être à cet effet retiré dans un des escaliers dudit château, où après avoir éteint la lumière qui l’éclairait, et avoir cassé son épée, il s’est porté lui-même, en différentes parties de son corps, des coups d’un couteau qu’il avait fait aiguiser par un coutelier de Versailles, l’un des derniers jours du mois de décembre, et dont il a été légèrement blessé, quoique les vêtements se trouvèrent considérablement coupés de toutes parts ; de s’être en cet état couché à terre ; d’avoir appelé à son secours, et d’avoir faussement dit à deux Gardes du Corps, qui sont survenus, qu’il avait été assassiné, ajoutant qu’il fallait avertir la Garde de veiller à la sûreté du Roi, et que les malheureux qui l’avaient assassiné, en voulaient à la personne de Sa Majesté ; d’avoir encore faussement déclaré à plusieurs reprises, avoir été assassiné par deux particuliers, qu’il a supposés être vêtus, l’un en habit Ecclésiastique, et l’autre en habit vert ; lesquels, après lui avoir demandé de les faire entrer au Grand-Couvert, ou de les faire se trouver sur le passage du Roi, lui ont, sur son refus, fait connaître leur mauvais dessein, en disant que leur motif était de délivrer un peuple de l’oppression, et de donner toutes les forces convenables à une religion anéantie ; et enfin d’avoir persisté durant plusieurs jours, tant verbalement que judiciairement dans son imposture ; tous lesquels faits capables d’alarmer le Roi, sur les sentiments d’amour et de fidélité de ses Sujets, et les Sujets sur la sûreté de sa personne sacrée, ont donné lieu à la plus grande rumeur, ont troublé la tranquillité publique, et ont nui au repos de plusieurs citoyens, qui ont été arrêtés comme soupçonnés d’être les particuliers qu’il avoir faussement désignés pour ses assassins, ainsi qu’il est mentionné au Procès ;

Pour réparation de quoi, ledit Paul-René du Truche de la Chaux condamné à faire amende honorable au-devant de la principale porte de l’Église de Notre-Dame, devant celle du Palais des Tuileries, et devant celle de l’Hôtel de cette Ville, où il sera mené et conduit par l’Exécuteur de la Haute-justice, dans un tombereau, ayant la corde au cou, tenant une torche ardente de cire jaune, du poids de deux livres, ayant des écriteaux devant et derrière, portant ces mots :

« Fabricateur d’impostures contre la sûreté du Roi et la fidélité de la Nation »,

et à chacun desdits endroits, étant à genoux, nue tête, nus pieds, et en chemise, dire et déclarer à haute, et intelligible voix, que :

méchamment, témérairement, et comme mal-avisé, il a, le 6 du présent mois, entre neuf et dix heures du soir, étant lors de service, et en habit uniforme, mis à exécution dans le Château de Versailles, le Roi soupant à son Grand-couvert, le détestable projet par lui formé dès le mois d’Octobre précédent, de faire croire qu’il aurait été assassiné par des gens qui en voulaient à la Personne sacrée de Sa Majesté ; qu’il s’est à cet effet retiré dans un des escaliers dudit Château, où après avoir éteint la lumière qui l’éclairait, et avoir cassé son épée, il s’est porté lui-même en différentes parties de son corps, des coups d’un couteau qu’il avait fait aiguiser par un coutelier de Versailles, l’un des derniers jours du mois de décembre dernier, et dont il a été légèrement blessé, quoique ses vêtements se trouvèrent considérablement coupés de toutes parts ; qu’il s’est en cet état couché par terre ; qu’il a appelé à son secours, et faussement dit à deux Gardes du Corps qui sont survenus, qu’il avait été assassiné, ajoutant qu’il fallait avertir la Garde de veiller à la sûreté du Roi, et que les malheureux qui l’avaient assassiné en voulaient à la Personne de Sa Majesté ; qu’il avait encore faussement déclaré à plusieurs reprises, avoir été assassiné par deux particuliers qu’il a supposés être vêtus, l’un en habit Ecclésiastique, et l’autre en habit vert, lesquels, après lui avoir demandé de les faire entrer au Grand-couvert ou de les faire se trouver sur le passage du Roi, lui ont, sur son refus, fait connaître leur mauvais dessein, en disant que leur motif était de délivrer un peuple de l’oppression, et de donner les forces convenables à une religion anéantie ; et qu’enfin il a persisté durant plusieurs jours, tant verbalement que judiciairement dans son imposture ; tous lesquels faits capables d’alarmer le Roi sur les sentiments d’amour et de fidélité de ses sujets, et ses sujets sur la sûreté de sa Personne Sacrée, ont donné lieu à la plus grande rumeur, ont troublé la tranquillité publique, et ont nui au repos de plusieurs Citoyens, qui ont été arrêtés comme soupçonnés d’être les particuliers qu’il avait faussement désignés pou ses assassins ; qu’ainsi il s’est rendu coupable envers Dieu, le Roi et la Nation, dont il de repent, et demande pardon à Dieu, au Roi, à la Nation et à la Justice ;

Ce fait, ledit Paul-René du Truche de la Chaux, condamné à avoir les bras, jambes, cuisses et reins rompus vif par l’Exécuteur de la Haute-Justice, sur un échafaud qui pour cet effet sera dressé en la Place de Grève ; ensuite son corps mis sur une roue, la face tournée vers le Ciel, pour y demeurer tant et si longtemps qu’il plaira à Dieu lui conserver la vie ; ses biens acquis et confisqués au Roi ou à qui il appartiendra, sur iceux préalablement pris la somme de deux cents livres d’amende envers le Roi, en cas que la confiscation n’ait pas lieu au profit de Sa Majesté ; et, avant l’exécution, ledit Paul-René du Truche de la Chaux être appliqué à la question ordinaire & extraordinaire, pour apprendre par sa bouche la vérité d’aucuns faits résultant du Procès, et les noms de ses complices.

Ouï et interrogé en la cour ledit Paul-René du Truche de la Chaux, sur les causes d’appel et cas à lui imposés ; Tout considéré :

La Cour met l’appellation et ce dont appel au néant, en ce que par ladite sentence ledit Paul-René du Truche de la Chaux a été condamné à être rompu ;

émendant quant à ce, le condamne à être pendu et étranglé par l’Exécuteur de la Haute-justice, tant que mort s’ensuive, à une potence, qui pour cet effet sera dressée en la Place de Grève ;

ladite Sentence pour le reste portant son plein et entier effet ;

et pour faire mettre le présent arrêt à exécution, renvoie ledit Paul-René du Truche de la Chaux prisonnier par devant le Lieutenant-criminel du Chàtelet.

Fait en Parlement, le premier février 1762

Collationné, Laudumiey

Signé, RICHARD.

Signe de fin