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UNE AFFAIRE CRIMINELLE EN BEAUJOLAIS EN 1616

Texte proposé par M. Jean-Louis CHARVET,
vice-président du Tribunal de grande instance d'Avignon
Ouvrage consulté : "Procès criminel" par Claude Le Brun de la Rochette (Lyon, 1619)

Le 16 avril 1616, Nicolas Brigand, maître-chirurgien à Villefranche, se présentait devant Claude Labbes, Lieutenant des Connétables et Maréchaux de France au pays de Beaujolais, pour l'informer de ce qu'il avait été appelé la veille au chevet de Noble Antoine d’Aguot, Sieur de Montgiraud, fils de Noble Jean d’Aguot, Sieur de Champrenard ; son patient aurait été gravement blessé par deux individus.

Le magistrat, accompagné de ses archers, Chevellieres et Demonceaux, de maître Geoffroy Chassins, avocat, son assesseur, et de Thomasson, son greffier, se rendait aussitôt sur les lieux, en la paroisse de Place ; le blessé, atteint d’une grande fièvre, put cependant lui raconter les faits dont il avait été victime le samedi précédent, Samedi-Saint :

Alors que vers dix ou onze heures du soir il allait entrer dans son premier sommeil, il avait vu pénétrer dans sa chambre, appelée chambre des pies, Fleury Michelon et Claude Feroier, domestiques de son père ; l’un l’avait saisi au gosier, l’autre lui avait porté plusieurs coups de poignard, dont il était résulté neuf plaies au dos, au bras et au côté gauche ; il avait vu ses agresseurs prendre ensuite les habits de soie qu'il avait fait mettre sur la table pour le lendemain, jour de Pâques, ainsi que son chapeau de castor et autres vêtements, puis s'enfuir ; malgré ses blessures, il avait pu donner l'alerte, mais il n'avait pas été possible d'arrêter les voleurs.

Le magistrat entendait aussitôt :

- Etienne, frère de la victime, âgé de quinze à seize ans, qui avait été réveillé par les cris d‘Antoine, dont il partageait la chambre ; il n'avait rien vu, mais déclarait que ces deux domestiques avaient déjà fait plusieurs larcins au préjudice de leur père, tant de poules que de coq-dindes et avaient rompu des bouts de fer de l'entrée de la cave, pour voler le vin ;

- Jeanne Rollet, native de l'Ecluse en Savoie, âgée de cinquante-cinq ans, domestique du Sieur de Champrenard, n’avait pas non plus été témoin oculaire des faits.

Sur les réquisitions de Mignot Fiot, Avocat du Roy, Labbes rendait le 17 avril une ordonnance de prise de corps, équivalent du mandat d’arrêt d’aujourd’hui.

Dès le 5 mai suivant, il pouvait procéder à l’interrogatoire de Fleury Michelon, assisté de Geoffrey Chassins, Conseiller du Roy, son assesseur criminel, et de son greffier ; Michelon avait été arrêté à Chazey ; âgé d'environ vingt-quatre ans, il disait être natif de Saint Martin, dans le haut-pays lyonnais, être laboureur et exercer depuis peu le jardinage ; il avait eu plusieurs maîtres, avant d'entrer au service des Aguot six mois auparavant. Il mettait en cause Claude Pichon, dit Feroier, palefrenier ou valet d'étable originaire d’Uzarche près de Paris, comme instigateur du vol ; c’est son comparse qui avait blessé le jeune Aguot, et avait pris tous les vêtements, n’hésitant pas un peu plus tard à revenir dans la chambre y prendre d’autres effets. Il disait qu’ils s’étaient ensuite rendus du côté de Lyon et qu’ils avaient dormi dans un bois près de Morance ; à son réveil, il avait découvert que Pichon l’avait abandonné ; il s’était ensuite rendu à Vienne, où il avait été arrêté au lieu de l'Iserable.

Le magistrat envoyait Michelon en prison. Le 6 mai, il procédait au second interrogatoire de l'accusé, après avoir, le 4, confronté ce dernier avec Etienne d'Aguot et Jeanne Rollet ; une confrontation était également organisée entre l'accusé et M. de Montgiraud.

Après que les parties civiles et l'avocat du roi aient pris leurs conclusions écrites, la sentence définitive était rendue et Michelon exécuté, après avoir, sous la question, avoué avoir tué son compagnon Claude Pichon.

*

On trouvera ci-dessous le texte de la sentence définitive, suivie du procès-verbal de mise à la question puis de l'exécution de Michelon :

Entre Jean de Aguot, Sieur de Champrenard, et Antoine de Aguot son fils, Sieur de Montgiraud, escuyers, joinct le Procureur du Roy, demandeurs et accusateurs d'une part, et Fleury Michelon deffendeur et accusé d'autre.

Veu par nous David Thomasson, Prevost de nos Seigneurs les Mareschaux de France au pays de Beaujolais, la dénonciation faicte par lesdits père et fils de Champrenard, par devant nostre Lieutenant et Greffier, le seziesme Avril dernier, mil six cents seize, signé Montgiraud, Champrenard, Labbes Lieutenant, Thomasson Greffier, Chamelieres & Demonceaux Archers, l'information estant au bas de trois tesmoins signé Labbes Lieutenant, Chassins assesseur, Cusin commis, avec la commission obtenüe de nostre Greffier pour adjourner tesmoins aux fins de deposer, et apres estre recolez et confrontez si de besoin dudit jour quatriesme May, signé Cusin commis, avec l'exploit à dos signé Chamelieres et Demonceaux : responces personnelles dudit Michelon, et les repetitions du mesme, signees Labbes, Chassins assesseur, Cusin Commis, le rapport de maistre Nicolas le Brigand Chirurgien, d'avoir peansé et medicamenté ledit sieur de Montgiraud de ses blesseures du quinziesme Avril, de luy signé : le recol et confrontation des tesmoins ouys esdites charges et informations audit Michelon, des quatre et cinquiesme May, signé Labbes Lieutenant, Chassins Assesseur, Cusin Commis, ensemble la confrontation dudit sieur de montgiraud audit Michelon, dudit cinquiesme May, signé par les susdits & Montgiraud, le proces verbal faict par maistre Claude Pipin Juge des terres de l'Iserable, et de Chasey, contenant la capture dudit Michelon, signé Pipin, Fanel Procureur d'Office, Mercier Greffier, les conclusions des parties civiles, signées Boyron, conclusions des gens du Roy, signées Fiot, et Mignot, eu l'advis et conseil des Sieurs Assesseurs soussignez pour cest effect ce jourd’huy par nous assemblez en la chambre du conseil.

Nous, de l’advis d’iceux, avons dit et disons que ledit Fleury Michelon est deuëment attaint et convaincu d’avoir le Samedy, vigile de Pasques derniere, de propos deliberé, avec ledit Claude de Luzarche son complice, aydé à poignarder ledit sieur de Montgiraud, à heure nocturne, dans son lict, en la maison dudit sieur de Champrenard son maistre, estant à ces fins entré dans sa chambre, laquelle ils aurayent depuis eschelee avec un brancard de charrette, prins et volé ses habits, apres avoir blessé ledit sieur de neuf divers coups de poignard, et de là pris la fuitte.

Pour reparation et amendement dequoy, nous avons condamné ledit Fleury Michelon à estre prins par l'executeur de la hauste Justice, mené et conduit en la place publique, appellee la peschiere de cette ville de Villefranche, et illec sur un eschaffaut, lequel pour cet effect y sera erigé, avoir les bras, cuisses, jambes, et reins rompues, et mis sur une rouë, pour y demeurer tant qu'il plairra à Dieu le laisser vivre, et apres qu'il aura expiré, sera son corps porté aux fourches patibulaires de cette ville, sur le chemin tendant à Lyon, sur la mesme rouë, pour y demeurer tant qu'il sera en estre, et l'avons condamné envers le Roy en l'amende de cent livres, et en deux cents livres envers parties civiles, avec despens de la procedure criminelle, la taxe à nous reservee, et avant estre delivré à l'executeur, sera conduit par nos Archers en la Chambre criminelle, pour estre appliqué à la question ordinaire et extraordinaire, pour avoir revelation de ses fauteurs, complices, receleurs de ses larcins, et de la mort de son complice ; signé Thomasson, Bellet Assesseur, Chassins Assesseur, Le Brun Assesseur, Rolin Assesseur, Delapraye Assesseur, Godard Assesseur, Dephelines Assesseur.

Prononcé au Procureur du Roy, qui a requis l'execution de ladite sentence, et audit Michelon en l'auditoire Royal du Baillage de Beaujolais, en presence desdicts sieurs Assesseurs, et à l'instant a esté ramené ledit Michelon en la chambre criminelle, où l'avons fait attacher aux cordes destinees à la question, et estant estendu à la renverse sur le banc à ce requis, les cordes attachees aux pieds et aux mains, au premier traict de corde.

Interrogé qui luy avait donné conseil de faire les larcins qu’il a commis en la maison du sieur de Champrenard.

- A dit que personne ne l’avait conseillé que ledit Claude son complice.

- Qui en estaient les receleurs.

-A dit personne vivante.

-Qu’est devenu ledit Claude son complice.

-A dit qu’il ne sçait.

-S’il ne l’a tué dans le bois, où ils dormirent la nuict qu’ils s’enfuirent avec les choses desrobees.

-A dit que non.

Avons faict donner le second traict de corde, auquel ledit Michelon a exclamé :

-ô Dieu, je suis mort!

Interrogé comme il serait vray-semblable que son complice se fust mis en tel hazard d'assassiner ledit sieur de Montgiraud, emporter la plus grande partie de ses habits quatre grandes lieues loing ; et qu'apres il eust abandonné ledit accusé, et n'eust emporté aucune chose de tout ledit larcin, ce qui estait tres-apparent, en ce que ledit accusé avait été trouvé saisi de tout ce qui avait été desrobé, fors de ce qu'il avait vendu.

A respondu :

- ô Dieu que voulez vous que je vous die!

Et luy ayant faict donner le troisieme traict de corde, de mode que son corps ayant delaissé le banc sur lequel il estait estendu, ne portait plus que sur les quatre membres liez, en s'escriant à haute voix, il a prié qu'on le descendit, et qu'il dirait la verité : ce qu'ayant à l'instant esté faict, il a dict que voyant son compagnon qui dormait, le Diable luy mit dans l'ame de le tuer pour avoir tout le butin, ce qu'il fit, et despuis a changé son espee à Lyon.

-Qu’il fit du corps de son compagnon.

A dit qu’il le traisna au plus fort du bois, où il est encores si les loups ne l’ont mangé.

Ce faict, apres qu'il a perseveré, et qu'il a esté confessé par Messire Claude Laurent, Curé de Pomiers, il a esté deslivré à Jean Mareschal, maistre executeur de la haute Justice, qui sur le champ l'a conduit au lieu à ce destiné, et executé ladicte sentence selon sa forme et teneur.

CUSIN Commis.

*

L'histoire racontée ci-dessus est tirée du "Procès criminel" par Claude Le Brun de la Rochette, jurisconsulte beaujolais, édité à Lyon en 1619 ; j'ai conservé l'orthographe d'origine de la sentence, à quelques corrections près, destinées à en faciliter la lecture.

Je remercie par avance les personnes qui auraient des renseignements sur cette affaire, le lieu où elle s'est passée et ses protagonistes de me les envoyer à l'adresse suivante : jean-louis.charvet2@wanadoo.fr

Signe de fin